Depuis mon retour dans le monde extérieur, mes excursions avaient des buts exclusivement utilitaires. Je cherchais de la nourriture, d’autres survivants, des informations sur l’état du monde… Ce matin là, je décidai toutefois de m’occuper de ce que j’avais négligé durant trop d’années : mon style vestimentaire. La boutique que j’avais choisie avait l’air de sortir tout droit d’avant l’épidémie. Les fenêtres étaient encore en état, les tablettes étaient pleines… Si quelqu’un s’était demandé pourquoi les survivants avaient l’air si crasseux, il aurait trouvé ici son explication. Personne n’avait songé à renouveler sa garde-robe maintenant que tout était gratuit. Quel gâchis.

Je n’avais pas sélectionné n’importe quel magasin. Oh non, Lincoln voulait porter un complet. Je sélectionnai celui dont l’étiquette indiquait le prix le plus élevé et passai de longues minutes à me regarder dans le miroir sous tous mes angles. Personne ne pourrait me voler la vedette dans tout Houston. Une fois équipé de cravate, mouchoir et boutons de manchette, je sorti fouler le trottoir tel un tapis rouge en fredonnant I’m too sexy for my shirt…

L’homme à qui j’avais emprunté le manoir avait des goûts très particuliers pour un vieillard malade : cocaïne, pornographie, mais surtout armes en tous genres. Ce matin, j’avais décidé d’essayer le fusil de précision que j’avais apporté avec moi. Je sélectionnai donc un immeuble pas trop en hauteur entourés de bâtiments semblables, qui pourraient faciliter ma fuite par les toits. Je barricadai la porte d’accès à l’aide de tous les matériaux et débris que je pu trouver avant d’installer mon nid de sniper.

J’étais loin d’avoir un entraînement militaire en armement, mais les zombies étaient tellement lents que je touchai ma cible à presque tous les coups. Dans la tête connard! Et toi prend ça idiote! Le plus amusant, c’était de voir les autres zombies chercher l’origine du bruit, tournant la tête de tous les côtés sans jamais penser à la lever vers le ciel. Pour des êtres si friands de cervelles, on ne pouvait pas dire qu’ils en avaient beaucoup dans le crâne. Heureusement pour moi, me dis-je.

J’étais à la recherche de nouvelles victimes quand j’aperçus du mouvement à quelques coins de rue. Je visai et m’apprêtai à tirer les cibles qui se déplaçaient dans mon champ de vision quand, au travers de la lunette, je découvris que la silhouette de tête semblait être humaine. La femme distançait ses poursuivants, plus lents et maladroits qu’elle, et semblait chercher à atteindre un bâtiment en particulier de l’autre côté de la rue. Un rôdeur apparu soudain d’une ruelle à proximité et accourut juste devant elle, lui bloquant l’accès à son refuge. Je m’apprêtai à lui venir en aide, tentant de viser la cible en mouvement qui entravait le chemin. Avant que je pu faire quoi que ce soit, la femme sorti un couteau et l’enfonça dans le crâne du zombie une fois à proximité. Elle pivota sur elle-même et retira brusquement la lame, envoyant valser le zombie vers le reste de ses poursuivants. Puis, elle reprit sa course et réussit à se réfugier à l’intérieur du bâtiment, refermant la porte vitrée derrière elle.  Dans ma mire, je pouvais voir que sa main avait laissé une trace de sang sur le verre. Le sien? Celui du zombie? Impossible de savoir.

Le reste des poursuivants réussit à atteindre la porte quelques secondes après la femme. Ils s’engouffrèrent dans l’édifice à sa poursuite. Relevant la tête, je me questionnai. Cette femme était-elle blessée? Avait-elle besoin d’aide? Elle semblait bien en mesure de se défendre contre les infectés, il n’y avait aucun doute. Mais une femme blessée contre une meute de carnassiers? Le combat semblait inéquitable. Je ne me prenais pas pour un héros, mais je ne pouvais pas rester derrière mon fusil à attendre de voir qui sortirait en premier de l’immeuble. Je poussai un long soupir en entrepris de ramasser mes possessions.

Les rues jusqu’à la bâtisse étaient calmes, résultat de mon avant-midi à jouer au pigeon d’argile. Je rejoignis l’immeuble sans encombre. Il s’agissait d’une énorme tour à bureau qui dépassait de plusieurs dizaines d’étages les bâtiments environnants. Pas nécessairement le refuge le plus accueillant en cas d’invasion de zombie, mais il semblait une porte de salut pour la jeune femme. Je fixai l’emprunte sanglante sur le verre, reconsidérai mon choix, puis décidai que je devais en avoir le cœur net si je voulais pouvoir bien dormir la nuit venue. Pistolet, je poussai la porte et laissai mes yeux s’habituer à la lumière. Puis, suivant les bruits de course, je tournai dans un couloir en redoutant ce qui se trouvait au tournant.

J'entendis la porte de l'immeuble s'ouvrir pour une quatrième fois. Pourtant, je n'avais compté que trois zombies derrière moi et je venais d'enfoncer ma lame dans le crâne du troisième. Je retira la lame d'un coup sec, avant d'empiler le troisième corps sur les autres. J'essuyai le couteau ensanglanté sur mon pantalon puis le remis dans son étui. Discrètement, je saisis mon fusil à pompe accroché en bandoulière sur mon dos et me mis à longer le mur du couloir pour me rapprocher de l'entrée. Les zombies possédaient une excellente oreille, bien plus développée que celle d'un humain moyen. Si c'était un zombie qui venait se pénétrer dans l'immeuble, je me devais d'être doublement plus silencieuse.

Aussitôt, j'atteignis un cadre de porte pour me réfugier, prête à attaquer. Je fus soulagé, en un sens, de constater que c'était un homme et non un mort-vivant qui se tenait devant de moi. C'était le premier survivant que je rencontrais depuis longtemps et pourtant, Will et moi arpentions quotidiennement la ville pour diverses provisions. Malgré mon soulagement, je ne savais pas si je pouvais faire confiance à cet individu. Peut-être était-il un bandit?

À la distance où nous sommes, un seul coup de fusil vous exploserait la cervelle.

Je venais de lui donner un avertissement. Je souhaitais prendre mes précautions car le monde était peuplé de gens malveillants. Parmi nos ennemis, nous comptions non seulement les zombies mais aussi les êtres humains malintentionnés. Ceux qui vous dépouillent de vos provisions et munitions, avant de vous trancher la gorge. Ceux qui détruisent vos campements et violent vos femmes. Ils étaient plus redoutables que les zombies, à mon avis.

Nous entrâmes dans la pièce située derrière nous, mon fusil à pompe toujours braqué sur lui. Je le dépouilla de son pistolet, qu'il tenait de la main droite et de sa mallette noire qu'il tenait fermement dans l'autre. Puis, je le fis s'asseoir, avant de le ligoter à la chaise à l'aide d'une corde. C'est à ce moment que je remarqua la façon dont il était accoutré. Il était vêtu d'un complet dont l'étiquette n'était même pas arrachée. Celle-ci indiquait un montant exorbitant. Qui pouvait bien avoir besoin d'un complet de ce prix en ces temps? C'était complètement taré.

Après m'être assuré que mes nœuds étaient bien fermes, je m'éloigna pour aller inspecter la mystérieuse mallette qu'il tenait dans ses bras quelques minutes plus tôt. Dans celle-ci se trouvait un fusil de précision qui semblait de haute qualité, divers lunettes de visée et un pointeur laser. Qui était cet homme? Il se promenait dans les rues de Houston vêtu d'un complet et armé d'un fusil de précision haute gamme. Cette histoire n'était pas très nette à mon avis. Soudainement, j'avais peur d'être tombé dans un guet-apens. Je me mis à inspecter dehors et les alentours à travers les grandes vitres de la salle. À essayer de repérer tous les mouvements qui sembleraient anormaux.

Où sont les autres? Criais-je en me tournant et en secouant activement mon arme vers lui.

Je vous gâche la surprise : la jeune femme n’avait pas du tout besoin d’aide. En moins de temps qu’il n’en faut à Miley Cyrus pour se dénuder, je me retrouvé ligoté, dépouillé de mes armes et sous la menace d’un fusil à pompe qui, selon les dires de ma ravisseuse, pourrait transformer mon cerveau en soupe aux pois. Gé-nial. Je mis le comportement de la femme sur le dos de l’adrénaline. Après tout, elle venait de tuer quatre infectés en peu de temps et croisait un étranger armé à peine trente seconde après. Et disons que même avant l’épidémie de zombies, une jeune femme qui se faisait suivre dans un immeuble par un inconnu, aussi séduisant soit-il, pouvait bien avoir une réaction guidée par la peur. Ainsi n’avais-je offert aucune résistance tandis qu’elle me ligotait sommairement au départ, son autre main étant quelque peu occupée à me menacer, pour ensuite resserrer les nœuds.

Nerveuse, elle ramassa la mallette contenant mon fusil de précision et se mit à inspecter ma tenue. Il est vrai que des hommes avec autant de goût, elle n’avait pas dû en voir beaucoup ces derniers temps. Elle ouvrit ensuite ma mallette et découvrit l’arme que j’y avais entassée. Tout à coup, la femme me parut encore plus agitée. Elle fit le tour de la pièce, regarda au dehors par la fenêtre, à la recherche de quelque chose qu’elle seule connaissait… Attendait-elle une réplique des zombies? « Où sont les autres? » Sa réplique me pris par surprise et je me reculai contre le dossier tandis que le canon du fusil à pompe se rapprochait de mon visage. Je commençai à suer à grosses gouttes.

« Je n’ai pas vu d’autres zombies en venant ici. Les trois que vous venez d’abattre étaient les derniers. Vous pouvez respirer maintenant ». Et c’est alors que je réalisai l’énormité de ma bêtise. J’avais cru la réaction de la jeune femme à mon égard motivée par les émotions de sa folle poursuite. Je réalisai maintenant qu’il n’en était rien, parce que cette poursuite était un coup monté. Je venais de tomber dans un piège basé sur l’égo des derniers mâles survivants qui ne pouvaient s’empêcher d’agir de façon héroïque pour venir en aide à une demoiselle en détresse. La jeune femme m’avait bien eu! Cela expliquait également son comportement, pourquoi elle regardait au dehors et semblait aussi énervée. Elle attendait le reste de sa bande de pouilleux qui patientait avant de venir me torturer. Je m’imaginai la scène et mon esprit s’emplit d’horribles images de scies rouillées, pinces ensanglantées et films de Nicholas Sparks.

Les autres dont elle parlait n’étaient pas les rôdeurs. En voyant mon arsenal et mon complet, elle espérait tomber sur d’autres victimes à détrousser. J’étais vraiment en position de faiblesse sur ce coup. Lors de ma première rencontre avec un survivant, j’avais eu la chance d’être plus en forme que mon assaillant, qui souffrait d’un choc crânien. Cette scène avait l’air de sortit tout droit d’un Disney comparée à celle que je vivais présentement. Mon esprit tournait à toute vitesse. Comment m’en sortir? J’avais bien une lame contre ma cheville, la jeune femme ne m’ayant pas fouillé avant de me ligoter. Je n’étais malheureusement pas en mesure de l’atteindre avec mes mains derrière le dossier de la chaise et je n’étais pas assez souple pour attraper la lame avec mes dents. Ma seule arme était donc ma langue. « Écoutez, je me nomme Lincoln, je suis photographe. Je suis venu ici seul et je ne possède rien d’autre que ces deux armes. Je n’ai rien à voler, vous perdez votre temps avec moi. » Je me doutais bien qu’elle ne me croirait pas et penserait que, étant tombé dans le panneau, je cherchais à sauver ma peau. J’espérais simplement qu’en connaissant mon nom, qu’en me voyant plus comme un être humain qu’une victime potentielle, je pourrais plus facilement faire appel à ses sentiments. J’avais vu cela dans un film et vu ce que les zombies avaient réussi à traverser l’écran vers notre réalité je me dis qu’il y avait une chance, peut-être minime, que tout cela fonctionne. La nervosité de la jeune femme semblait indiquer qu’elle n’était pas qu’une froide sociopathe, mais plutôt une survivante qui ne faisait que ce qu’elle pouvait pour se réveiller en vie le lendemain. Je n’étais pas  plus croyant qu’il le fallait, mais je me mis à prier silencieusement avec ferveur. Seigneur, si je sors d’ici en vie, je promets de jeter toute ma coke aux toilettes. Bon compromis, non?

John Smith?! Lui aussi était dans le coup? Je sentais le dos mon complet se tacher de ma sueur. Avais-je traversé sans le savoir vers la quatrième dimension? Verrais-je bientôt entrer les trois motards qui nous avaient surpris dans ce restaurant en hurlant « Surprise! »? L’expression faciale de John Smith me donnait à penser que j’allais ressortir d’ici avec au minimum quelques orteils en moins. Ma confusion ne s’évapora pas lorsque l’homme utilisa son couteau pour défaire me liens. Je n’osai bouger, alternant mon regard entre mes deux geôliers. La jeune femme ne semblait pas entièrement convaincue, mais le visage de son partenaire me fit réaliser que je venais d’être libéré. Je me relevai, massant mes poignets pour y faire revenir la circulation, ne sachant pas exactement quels seraient mes prochains gestes. Une certaine honte venait de m’envahir. Persuadé d’avoir été enlevé, j’avais cédé à la panique et John Smith avait bien dû m’entendre. Je fixai le sol, tentant de trouver la meilleure réplique pour poursuivre la conversation.

« Merci John… Euh, merci à toi. J’ai bien cru que je venais d’être victime d’un kidnapping! » Un petit rire nerveux s’échappa de mes lèvres. « C’est génial de voir que tu vas bien. Est-ce que je pourrais savoir vos noms? Après tout v… » Je devins muet lorsque je tournai mon regard vers la femme et captai du mouvement derrière elle. Un rôdeur accourait dans sa direction et les bruits de notre conversation nous avaient empêchés de l’entendre se faufiler aussi près, le son de ses pas étouffés par l’épaisse moquette. Les deux partenaires devant moi n’étaient pas en position de se défendre, armes baissées et dos tourné. Je cru que j’assistais à leurs dernières heures (ce ne serait pas de ma faute bien sûr, la femme serait à blâmer pour m’avoir désarmé). Complètement lessivé par les émotions des derrières minutes, mon corps n’avait plus les réserves nécessaires pour m’envoyer une bonne dose d’adrénaline et je restai figé, regardant le sombre destin de la femme arriver devant mes yeux comme au ralenti.

Avec toute la grâce d’une girafe sur des patins à roulettes, le rôdeur vint s’écraser au sol juste derrière la survivante. J’expirai d’un coup et ma paralysie pris fin, mon corps expulsant un dernier cocktail d’excitants dans mon sang. Je me jetai sur le zombie et lui défonçai le crâne d’une demi-douzaine de puissants coups de pieds. Tant pis pour mon costume! Sur le dos du rôdeur en charpie se tenait Buster, le chien errant entre les pattes duquel j’avais laissé la vie de John Smith. Il ne semblait pas avoir fait un mauvais boulot et venait de prouver une fois de plus qu’il savait se montrer efficace comme garde du corps. Je lui caressai rapidement la tête en accourant en direction de mes armes. « Les présentations peuvent attendre je crois. Nous ferions mieux de sortir d’ici avant de finir en tartare. » Une fois le cadre de la porte traversé, je me retrouvai une seconde fois en état de choc. Tous les zombies du rez-de-chaussée semblaient s’être donné le mot pour nous bloquer le passage vers la sortie. De l’autre côté, le couloir se terminait sur un mur. Su-per. Je me retournais de part et d’autre afin de nous trouver une échappatoire. Une affiche indiquait une cage d’escalier. Toujours mieux que rien. « J’espère que vous avez un bon cardio, il va nous falloir monter de quelques étages. » Je poussai mes camarades vers les hauteurs et refermai la porte, ne trouvant toutefois aucun meuble pour la barricader. Je gravis ensuite les marches à leur poursuite, Buster sur mes talons. J’ai toujours su que j’étais ton préféré, clébard de mon cœur.