Kaleb avait été tellement content de voir ses sœurs venir. Autant Jane qu’Alicia, il avait douté de leur présence jusqu’à la dernière minute. Il s’était passé tellement de choses ces derniers temps, Jane qui se refermait de plus en plus, Alicia qui leur en voulait de ne pas avoir pris soin d’elle. Elle avait raison, il avait tenté de faire de son mieux pour rétablir la situation, mais il sentait que ce n’était pas assez. Il sentait qu’il lui fallait faire plus. Il avait embrassé Jane et l’avait serré dans ses bras à son arrivée, il avait fait la même chose avec Alicia même si elle semblait tendu. Il était presque sur qu’elle avait eu envie de le repousser et probablement qu’elle l’aurait fait s’il n’avait pas mis fin à son étreinte de lui-même. Maintenant, ils étaient tous assis autour de cette table et l’ambiance était à couper au couteau. C’était difficile, ils étaient tous ensembles et pourtant tous distants il lui semblait. Il avait l’impression qu’il n’y arriverait pas, qu’il avait brisé les liens de sa famille à jamais. Il ne voulait pas perdre espoir, il avait foi en eux, mais quelques fois, il était difficile d’avoir la foi. Difficile d’arriver à voir autre chose que le côté sombre. Il espérait simplement qu’il n’était pas trop tard et que le mince espoir qu’il lui restait ne serait pas vain. Ally était là, Jane aussi, la fraternité Birmingham était au complet. C’était déjà un pas en soi non? Mais il n’osait pas ouvrir la bouche de peur de faire une gaffe encore. Il les cumulait ces derniers temps.

Mackenzie était sagement assise aux côtés de Kaleb et elle ne savait pas trop ce qu'elle aurait donné pour aller rejoindre Hunter, Willow et Ayana, mais elle aurait largement préféré être là-bas plutôt qu'ici. Oh, elle était contente de voir que les jumelles étaient là avec leurs frères, mais Mac aurait sûrement préféré que la tension ne soit pas à son comble. Elle ne se sentait pas le droit de leur dire d'arrêter leurs enfantillages quand elle-même avait eu de sacrés problèmes avec son propre frère quelques années plus tôt. N'empêche, Mac avait bien envie de leur dire d'arrêter de se comporter en gamins et de se faire la tête pour tout et n'importe quoi.... même si à quelque part, elle comprenait que trop bien comment Alicia avait pu se sentir. Pour celle-là, Mackenzie ne serait pas la première à lui lancer la pierre. Le sentiment d'être abandonnée et laissée derrière, elle ne connaissait que trop bien.

- Si vous voyez le Père Noel franchir les portes, dites-le moi. Je ne veux pas manquer ça.

Pathétique comme tentative pour lancer un sujet, mais c'était tout ce qui lui était venu à l'esprit. Sans compte qu'elle payerait cher pour voir son frère affubler du costume miteux qu'Ayana avait fini par le convaincre d'enfiler. Elle avait promis à Willow d'essayer de ne pas se moquer d'Hunter. Essayer, hein! Pas réussir!

J’avais toujours entretenu une relation ambigüe avec les rituels festifs, entre enthousiasme et appréhension, amour et haine, euphorie et spleen. J’ignorais si ce réveillon de Noël ferait exception à la règle. J’étais parvenue à atteindre un degré élevé de détachement ces dernières semaines. Warren était mort, je n’y pensais pas. Ma famille volait en éclats, je n’y pensais pas. Will avait disparu, je n’y pensais pas. J’avais tué, encore, mais je n’y pensais pas. Tout semblait couler sur moi comme de l’eau sur une vitre. Je m’enfonçais dans les bois, je grimpais en haut des buildings, je m’aventurais là où mon instinct me guidait. Je prenais régulièrement la voiture et conduisais jusqu’à la côte. Je me nourrissais de paysages, de sensations, d'inédit. La Jane d’antan qui craignait de s’éloigner à plus de quelques kilomètres de l’hôpital n’était plus qu’un lointain souvenir. Je n’avais pas la prétention de m’estimer libre ni guérie, encore moins heureuse. A vrai dire, des prétentions, je n’en avais plus. Je vivais, chaque seconde après l’autre, restant en mouvement et focalisant mon énergie pour que le fil de ma pensée reste suspendu. Néanmoins, devant la porte de l’hôpital, je ressentais comme une pointe au coeur.

Après avoir salué les convives et rejoint la cafétéria, je posai une bouteille de Tequila entamée sur la table et pris place à côté de ma soeur. La tension était palpable. J’avais l’impression d’étouffer mais je savais qu’il fallait que je tienne au moins jusqu’à la fin du repas. Par devoir familial. Mackenzie tenta de lancer la conversation. Je soutins cette initiative en lui souriant. « La mère Noël a dû à se montrer sacrément convaincante… » J’étouffai un rire, soufflai puis commençai à froisser ma serviette. Le malaise peinait à retomber. Je glissai à Alicia : « Tu crois qu’il est trop tôt pour épicer le punch ? »

C'était la faiblesse qui l'avait poussée à venir là. Elle n'avait jamais manqué un seul Noël en famille et c'était pour cette raison qu'Alicia était venue à l'hôpital. Elle était bête à manger du foin. La tension était palpable et c'était de sa faute. Si elle n'avait pas tenu Mordicus à venir, personne ne devrait supporter cette ambiance pourrie. Au final, elle n'aurait jamais dû venir à l'hôpital et entraîner James là-dedans. Tout le monde gardait le silence et Mackenzie essayait vainement de lancer la conversation sur le Père Noël qui devrait faire son apparition. A en juger par sa hâte de le voir débarquer, Ally était prête à mettre sa main à couper qu'il s'agissait d'Hunter. Si ç'avait été Kaleb ou Raffael, ils ne seraient pas assis à table avec eux. Ally cherchait vainement comment se sortir de là, se chercher une excuse - que tout le monde saurait être totalement bidon – pour partir quand Jane lui demanda s'il était trop tôt pour épicer le punch. L'alcool pouvait être une solution, mais c'était à double tranchant. Soit ça les dégèlerait suffisamment pour que la soirée se déroule plus ou moins normalement, soit ça leur délierait la langue et ils diraient des trucs qu'ils regretteraient plus tard. Quoique sur ce dernier point, ils étaient pas mal à jour, il ne devait plus y avoir grand-chose à raconter.

- Au point où on en est, ça ne devrait pas faire trop de dégâts. soupira Alicia avant de chercher à accrocher le regard de James pour lui faire comprendre que dès qu'ils en auraient l'opportunité, ils devraient filer à l'anglaise.

Elle avait eu une très très mauvaise idée, elle était bien prête à le reconnaître.

Il s’étira comme un chat indifférent à l’ambiance tendu qui existait entre les membres de la famille. Oh, il aurait aimé que ce soit différent, mais sa douce en voulait encore à sa famille. Elle avait tenu à être ici ce soir, c’était déjà un pas en avant, donc il était venu. Maintenant, c’était à eux de faire le reste. Kal et Raff avaient tenu promesse et venaient tous les jours. Souvent, Alicia ne les regardait même pas et vaquait à ses occupations, mais ils étaient là. Si l’un des deux ne pouvait y être, l’autre se montrait et expliquait l’absence du premier. Alicia bougonnait souvent, mais il sentait que sa famille lui manquait et il sentait qu’elle avait besoin qu’ils lui prouvent qu’elle était toujours des leurs. Il eut un sourire en entendant parler du Père Noël et de Jane qui voulait « épicer » le punch. Le regard que sa belle lui avait lancé était éloquent; elle pensait avoir fait une erreur et voulait partir bientôt. Non, pas cette fois. Il eut un sourire en coin.

-Moi je crois que c’est un petit lutin malin qui a convaincu l’homme de porter le rouge.

Il se pencha vers l’avant et regarda Jane.

-Si tu veux, je t’aide à passer inaperçu. Personne ne saura qui a mis la potion magique pour agrémenter le punch.

Il fit un clin d’œil complice à sa belle sœur. Il se sentait d’humeur taquine et l’ambiance plombant méritait d’être légèrement détendu.

La soirée promettait d’être longue si ça continuait ainsi. Sa sœur faisait des efforts, les jumelles voulaient épicer le punch et James s’installait alors que Alicia ne semblait avoir qu’une seule envie : partir. Elle regarda les membres de sa famille et chercha Hunter des yeux. Un père Noël ne pouvait pas se manquer même s’il y avait beaucoup de gens dans la cafétéria. Elle soupira en voyant qu’il n’arrivait pas, elle avait peur qu’il n’ait plus envie de jouer le jeu. La jeune se tourna vers Raffael, elle lui sourit avant de déposer un baiser sur sa bouche, chastement quand même. Elle ne voulait pas lui démontrer les craintes qu’elle envisageait pour ce soir. Une crainte sourde qui lui disait que tout ne se passerait pas bien. Intuition, pressentiment, impression de déjà vu ou même paranoïa, appelez-le comme vous voulez, la jeune femme se sentait craintive pour une raison inconnue. Elle s’appuya contre l’épaule de la jeune femme.

-Ayana est têtue, je suis sur qu’elle réussira à le convaincre de se montrer. Sinon, elle sera vraiment déçue.

Elle n’ajouta pas qu’elle serait déçue pour l’adolescente si son frère refusait de se montrer en public costumé pour l’occasion.


HJ: désolée, je ne sais pas pourquoi mais j'étais sure que c'était le tour de Raff! Désolée pour le délai j'avais mal lu la séquence!

Si Raffael avait été surpris de voir Jane en entrant dans la cafétéria pour la fête, qu'elle n'avait pas été sa surprise de voir qu'Alicia y était également. Que Jane ait choisi de se joindre à eux pour célébrer Noël était un grand pas en avant. Elle fuyait encore, préférant rester seule le plus souvent, mais désormais, elle faisait un effort pour passer les voir, elle ne les fuyait plus comme la peste. Quant à Ally... c'était une réelle surprise de la voir là. Raff n'aurait pas cru qu'elle se joindrait à eux. Du moins, pas si James ne l'y avait pas forcée. Alors de la voir là malgré les tensions entre eux lui faisait chaud au cœur. Les personnes qu'il aimait le plus au monde serait à ses côtés ce soir-là et il n'aurait pas pu demander un plus beau cadeau de Noël. S'il avait un seul souhait à formuler, ça serait que cette soirée finisse par aplanir le fossé qui s'était creusé entre les Birmingham.

Raff n'avait pas été sans remarquer le regard qu'Ally avait échangé avec James et il avait parfaitement compris que sa petite sœur voulait mettre les voiles. Il avait également compris que son beau-frère n'était pas enclin à l'idée d'accéder à cette requête faite par sa petite amie. Au même moment, il avait vu Jane se pencher vers son double et lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Raffael était trop loin pour comprendre de quoi il s'agissait, mais si ça pouvait aider à diminuer la tension qui régnait ou faire en sorte qu'Ally veuille rester, Raff était bien prêt à marcher sur la tête s'il le fallait.

Quant à sa belle, si elle croyait qu'elle arriverait à le berner en l'embrassant, c'était qu'elle le connaissait bien mal. C'était évident qu'elle redoutait que les choses ne tournent mal. Ce qu'il ne savait pas, c'était si ça concernait Hunter et cette histoire de Père Noël ou bien si c'était sa famille. Pour le Père Noël, Raff ne s'inquiétait pas trop. Willow et Ayana sauraient le convaincre. Pour sa famille, il avait beaucoup moins de certitudes et il craignait lui aussi que ça ne tourne mal.

- On peut compter sur Ayana et sa Princesse pour le convaincre de sauter dans l'habit rouge et de défiler. Elles vont lui faire passer un mauvais quart d'heure s'il ne tient pas sa promesse.

C'était dans des situations comme celles-là que Raffael se considérait comme chanceux. Avec Amy, il n'avait jamais à craindre son courroux. Enfin, à l'exception d'une gifle, il n'avait jamais eu à craindre qu'elle lui pique une sainte colère!

Il ne disait rien mais il observait tout. Il eut un sourire quand Mackenzie demanda aux autres de lui dire s’ils voyaient un Père Noël entrer. Il n’avait aucun doute que son beau-frère devait être en train de négocier pour ne pas entrer dans la pièce. Il se pencha vers sa femme et lui souffla à l’oreille.

-N’oublie pas ta promesse à Willow.

Il embrassa sa joue et se redressa. Elle avait promis à la jeune femme qu’elle ne ridiculiserait pas Hunter. Il le fallait, sinon il regretterait à jamais d’avoir enfiler cet habit et la déception d’Ayana serait grande. Jane émit un commentaire comme quoi la mère Noël avait dû être convaincante et James que ce devait être un petit lutin malin. Il ne put s’empêcher de sourire largement.

-Tu n’as pas idée, un petit lutin charmant et têtu. Il n’y avait qu’elle pour le convaincre.

Il parlait d’Ayana bien sur. Il regarda les jumelles qui semblait conspirer, Alicia qui semblait vouloir déguerpir, James qui s’installait, Amy et Raffael qui discutait, il entendit d’ailleurs la réplique de son frère sur le fait de passer un mauvais quart d’heure si Hunter ne tenait pas sa promesse. Il eut un sourire triste, cette réponse venait de lui faire penser à quelque chose, un souvenir de leur enfance. Les jumelles avaient fait payer cher aux deux frères de ne pas être arrivé à temps pour Noël, c’était lors de leur deuxième départ pour les missions. Ils avaient promis, mais une tempête avait fait en sorte que leur bus de retour avait dû être retardé. Ils étaient arrivés à la maison dans leurs habits réglementaires de l’Armée, éreintés et déçus d’être arrivé passé minuit, il était près de quatre heures du matin. Les filles avaient passées la journée à les ignorer et leur rappeler qu’ils avaient manqués à leur promesse. Elles avaient toujours été de charmantes rancunières, mais ça n’avait pas duré longtemps. Elles étaient contentes qu’ils soient de retours vivants. Il dû se racler la gorge, pour faire passer la boule d’émotion qui venait de lui serrer la gorge. Il se leva.

-Je vais chercher du punch, quelqu’un en veut?

Mac fit la moue quand son mari lui rappela la promesse qu'elle avait faite. Elle s'en rappellerait, c'était sur les clauses que Kaleb se trompait. Si elle avait promis quelque chose à Willow, ce n'était certainement pas de ne pas se moquer de son frère. Elle ne ferait jamais une telle promesse, pas en sachant que les probabilités qu'elle ne puisse s'y tenir étaient contre elle!

- J'ai seulement promis d'essayer! rectifia Mackenzie avec un grand sourire à l'intention de son mari. Tu me connais, tu sais bien que je ne fais jamais de promesse que je pourrais trahir. C'est hors de mon contrôle.

Le regard que fit Kaleb la refroidit un peu. C'était vrai que si Hunter avait accepté de s'embarquer là-dedans, ce n'était qu'en raison d'Ayana. Se moquer de son frère ou faire plaisir à sa fille... qu'est-ce qui comptait le plus? Ayana, sans doute possible... mais se fouttre d'Hunter... ça aussi c'était important à ses yeux. Ils avaient des années de bêtises à rattraper, après tout!

- Moi, chéri! S'il-te-plait. Si tu veux que je sois sage, il faut m'occuper. lança-t-elle avec un grand sourire aux lèvres.

HJ: Désolée, j'ai mis du temps... la semaine n'a pas été facile!

J’avais toujours utilisé mon sourire comme une porte blindée infranchissable, protégeant mes songes, qu’ils soient inappropriés, sarcastiques, obscurs, choquants, violents, désarçonnants ou tout simplement stupides du monde extérieur. Celui que j’offrais aujourd’hui à la tablée avait la lourde tâche de dissimuler le cynisme du regard que je portais sur cet ersatz de réveillon. J’avais accepté l’invitation de mes frères comme on accepte un rôle et, alors que je récitais mon texte, je commençais sérieusement à trouver le scénario risible. Le faux père Noël, le punch, les tensions de famille, tout sonnait tellement faux, tellement décalé. Quelques jours auparavant, j’étais enfermée dans les tréfonds d’une cave, détenue par un gang sanguinaire. Quelques jours auparavant, dans ma fuite, j’avais tué un homme. Concrètement, qu’Hunter accepte ou non de se travestir en barbu bedonnant m’importait guère. Je jetai un bref regard sur mes poignets qui portaient encore les marques des liens qui m’avaient entravée pendant ces longues heures de captivité puis tirai sur les manches de mon pull afin de les dissimuler.

J’enfonçai discrètement mes ongles dans le coton de mon jean, continuant d’arborer sur mon visage l'arme redoutable qu'était mon sourire d'hôtesse de l'air. Je regardai James qui me faisait un clin d’oeil, puis mes frères qui semblaient heureux. Peut-être étaient-ils sincères, peut-être étais-je la seule à jouer un rôle. Tandis que mon aîné prenait les commandes, je me levai discrètement, allai me servir un fond de verre de tequila puis me dirigeai vers la le bol de punch. Je piquai une rondelle de citron qui flottait à la surface puis m’adossai au buffet. Alors que je regardais ma famille attablée à quelques mètres de là, j’eus l’étrange impression que mes sentiments à leur égard commençaient à s’émousser, comme si, lasse de souffrir sans cesse, je tentais inconsciemment d’apprendre à arrêter de les aimer. Je terminai mon verre d’une traite puis mordis dans la pulpe du citron.