- Qu’est-ce que tu fais là, Len? A quoi tu joues?

C’était la deuxième fois que Livia lui posait la question. Allait-il enfin daigner y répondre? Il était clair qu’il était un membre du groupe de l’hôpital, sinon il ne se baladerait pas dans les corridors de la bâtisse. Depuis combien de temps vivait-il ici? Dire que depuis des mois elle le cherchait partout comme une folle et lui, il était tranquillement installé à l’hôpital. Si elle avait toujours espéré qu’il était toujours vivant, si elle avait toujours su qu’il s’en était sorti, Olivia était tout de-même rassurée de le voir devant elle. De constater qu’il allait bien. Depuis qu’elle avait mis les pieds à Houston, depuis que les rôdeurs n’étaient plus que de la fiction, elle le cherchait partout. Elle ne l’avait jamais vu, mais à chaque fois, elle était soulagée de voir qu’il ne s’était pas transformé en zombie.

En réalité, ce que Livia aurait dû lui demander, c’était à quoi il jouait. Pourquoi il se jetait presque sur elle pour l’embrasser comme ça? Non, elle n’irait pas mentir, elle ne dirait jamais qu’elle n’avait pas apprécié le baiser – sauf si c’était Leonard qui lui posait la question, là elle mentirait effrontément – mais à quoi ça rimait au juste? Après cinq années passées loin l’un de l’autre, il l’embrassait comme… comme s’il avait peur de la voir disparaitre à nouveau. Pour être bien franche, cette idée commençait à lui traverser l’esprit. Elle ne pourrait pas rester là si Len y était. C’était impossible, ça ne ferait que leur faire du mal inutilement. Mais Olivia était bien consciente d’une chose, si elle avait eu la chance de partir une fois, ce n’était que parce qu’elle avait rusé pour y parvenir. Maintenant, Len se méfierait. Elle ne l’avait pas volé.

- C’était une erreur. Je dois partir. lança la jeune femme en s’écartant de son mari – parce qu’ils étaient toujours mariés – avant d’attraper son sac à dos fermement.

Tant pis pour l’album de photos. Ah et puis merde! Elle avait voulu le donner à Len dès qu’elle le verrait. Il finirait bien par mettre la main dessus un jour où l’autre. Les chances que Len décide de la laisser partir étaient bien minces, mais ça valait quand même le coup de tenter sa chance. Elle refusait de rester là à ressasser inlassablement leur passé, ce qu’ils avaient traversé. Si elle était partie, c’était pour que Leonard ait une chance de refaire sa vie, d’avoir les enfants qu’ils avaient toujours désirés. Le monde dans lequel ils évoluaient avait peut-être radicalement changé, si avoir des enfants n’était plus vraiment qu’un rêve absurde, voir Len devant elle lui ramenait comme une gifle le fait qu’elle ne pourrait jamais lui donner ce qu’il voulait. C’était pour ça qu’elle était partie, il ne fallait pas le perdre de vue. Elle ne laisserait pas ces retrouvailles tout gâcher.

Il avait été tellement heureux de la voir. Merde, il la croyait à New York, morte ou pire transformer. Il avait cru ne jamais la revoir et pourtant elle était là devant lui. Elle lui demanda ce qu’il faisait là, à quoi il jouait. Elle parla d’une erreur, qu’elle devait partir. Il secoua la tête, non, non, il était hors de question qu’il la laisse partir, pas cette fois. Il bloqua la porte de son corps. Il était plus grand qu’elle, plus large d’épaule. Il n’avait même pas besoin de la toucher pour l’empêcher de sortir. Elle ne lui avait jamais laissé la chance de lui parler, pas laisser la chance de lui dire ce qu’il ressentait. Il n’allait certainement pas la laisser faire une deuxième.

-Je te l’ai toujours dit, je ne joue pas avec toi. Jamais.

Il s’adossa à la porte et croisa les bras sur sa poitrine. Il lui avait dit ses mots le soir du bal, ce soir où il lui avait avoué qu’il l’aimait. Elle ne l’avait pas cru, jusqu’à ce qu’il l’embrasse sur la piste de danse. Ce souvenir lui serra le cœur. Ils étaient tellement heureux en sortant de cette soirée, ils avaient été heureux jusqu’à ce fameux jour où elle avait su qu’elle avait très peu de chance de pouvoir lui donner des enfants. Elle s’était jouée de lui et était partie comme ça. Non, il ne la laisserait pas partir, pas cette fois.

-Je suis sincèrement heureux de te savoir en vie. J’avoue avoir cru ne jamais te revoir. Je te pensais à New York. Je …


Il secoua la tête. Comment lui exprimer tout ce qu’il ressentait, c’était impossible. Il avait eu le cœur qui battait la chamade en la voyant, il l’aimait toujours. Il n’avait jamais cessé de l’aimer. Alors de constater qu’elle était là, devant lui et en vie, c’était le deuxième plus beau jour de sa vie, le premier étant son mariage avec elle.

-Reste, s’il-te-plaît. Je n’ai aucune envie de te voir me quitter à nouveau. Reste.


Que pouvait-il dire de plus. Il était trop tôt pour lui dire qu’il l’aimait toujours. Il connaissait la jeune femme, elle ne le croirait pas. Il était allé à New York une seule fois. L’un de ses frère lui avait indiqué où elle était et il l’avait vu dans un restaurant avec un homme. Elle lui avait semblé heureuse, il était reparti sentant qu’elle l’avait oublié. Mais lui n’avait pas pu et ne le pourrait jamais. Il l’aimait encore, cinq ans avait passé et il l’aimait toujours.

Il ne jouait pas avec elle. Était-il nécessaire qu’il lui dise qu’il n’avait jamais joué avec elle? Il lui avait dit la même chose la nuit du bal de la Marine. Elle savait qu’il était sérieux et c’était bien ce qui lui semblait le pire. Elle n’avait rien oublié et ce, même si elle avait essayé. Vraiment essayé.

Si Livia n’avait jamais oublié qu’il était plus grand et bien plus fort qu’elle, elle avait cependant oublié sa maudite ténacité. Len ne voulait pas la laisser partir comme ça et Livia devrait probablement ruser pour sortir. A supposer que son cher et tendre mari ne se mette pas dans le crâne de la garder à l’œil et de la suivre comme son ombre. Pourquoi n’avait-elle pas tout simplement suivit les conseils de son avocat et ne l’avait-elle pas laissé gérer la situation et convaincre Len d’accepter le divorce? Après tous ces mois à n’avoir rien d’autre à faire qu’à survivre et réfléchir, Olivia se devait d’admettre qu’elle mourait tout simplement d’envie de le revoir une dernière fois. C’était aussi pour cette raison-là qu’elle avait fait tout le trajet pour assister – de loin – aux funérailles de sa belle-mère. Elle était restée à l’arrière de l’église, s’arrangeant pour qu’on ne la remarque pas, pour que Len ne puisse pas la voir. Mais elle, elle l’avait vu. Ça lui avait tout pris pour ne pas se précipiter vers lui et pour le prendre dans ses bras, pour lui montrer qu’il n’était pas tout seul, mais… Livia ne l’avait pas fait. A ce moment-là, c’était pour se préserver et c’était toujours la même chose. Elle ne devait pas lui laisser voir qu’elle l’aimait toujours comme une folle. Elle ne devait pas lui laisser une seule occasion de la faire fléchir. Elle connaissait son mari, elle savait qu’il ne reculerait devant rien s’il se mettait dans le crâne de vouloir la garder à ses côtés. Il y parviendrait sans trop de mal. Alors non, Olivia n’avait pas autant souffert pour tout recommencer à zéro.

- Moi aussi, je suis heureuse de voir que tu vas bien, mais… si tu es masochiste, tu devrais savoir que ce n’est pas mon cas.

Rester et là et le voir jour après jour, se souvenir à chaque fois de ce qu’aurait dû être leur vie si elle avait pu lui donner des enfants, ça lui déchirait le cœur. Maintenant qu’elle savait qu’il était toujours en vie et qu’il était en sécurité, elle pourrait… elle pourrait quoi? Le quitter de nouveau? Olivia avait cru mourir la nuit où elle l’avait quitté. Elle avait mis des mois à arrêter de pleurer sur son beau conte de fée détruit. La vie n’était malheureusement pas comme dans les livres ou les films, ça ne se terminait pas toujours bien. Elle en était la preuve vivante. Si les contes de fées étaient réels, elle serait toujours avec son mari, elle ne l’aurait pas quitté. Elle serait déjà maman. C’était le seul véritable rêve qu’elle avait et n’avait pas pu y accéder. Il était donc injuste d’en priver également Leonard. Ce n’était pas nécessaire qu’ils soient deux à souffrir. Pas quand elle pouvait remédier à la situation et lui donner une chance de refaire sa vie. Et comme pour tourner le fer dans la plaie, voilà que Len lui demandait de rester, disant qu’il ne voulait pas la perdre de nouveau.

- Len… s’il-te-plaît, ne fais pas ça. le supplia doucement Olivia. C’est mieux pour tout le monde si je repars. Je peux rejoindre le groupe de l’hôtel. Ils pourraient avoir besoin de mes services.

Se retrouver dans un groupe aussi fermé, aussi exclusif ne l’emballait pas outre mesure, mais si c’était ce qu’il fallait pour mettre de la distance entre Len et elle, Olivia le ferait. Sinon… sinon quoi? Que ferait-elle si le groupe ne voulait pas d’elle? Tenterait-elle de quitter la ville? Non, juste à voir l’air déterminé qu’arborait Len, c’était peine perdue. Si elle voulait partir, il faudrait d’abord commencer par le convaincre. Et là-dessus, Livia ne se faisait aucune illusion, elle n’aurait jamais gain de cause. Si elle avait réussi à partir une fois, c’était parce qu’elle lui avait fait prendre un somnifère, cette ruse-là ne marcherait pas deux fois.

Il n’était pas sur de bien comprendre ce qu’elle voulait dire. Si lui était masochiste, elle non. Qu’entendait-elle par là? Il n’osa pas demander. Elle avait dit être contente de le savoir en vie, c’était au moins ça. Mais elle ne semblait pas pour autant contente de le voir là. Après qu’il l’ait presque supplié de rester, elle lui demanda de ne pas faire ça. Selon elle, c’était mieux pour tout le monde si elle repartait. Il secoua la tête de façon négative. Non, il était loin d’être d’accord. Elle voulait aller rejoindre le groupe de l’hôtel. Elle ne pouvait pas faire ça, c’était des snobs qui n’ouvraient leurs portes qu’au plus fort d’entre eux. Il n’aimait pas leur philosophie et il savait qu’elle n’aimerait pas non plus. Mais il se tut, il n’avait pas à lui dire quoi faire, il n’avait pas à s’imposer. La seule chose qui pouvait faire était de lui dire ce dont il avait envie là, maintenant.

-Non, se sera mieux pour toi. Fuir c’est ta façon d’éviter les problèmes.

Ce n’était pas ce dont il avait eu envie de dire, mais c’était partit tout seul, il n’avait pas pu s’en empêcher. Il était blessé de voir qu’elle n’avait qu’une seule envie et que c’était de repartir et le laisser derrière elle encore une fois.

-Je dois en effet être masochiste, parce que j’ai envie que tu restes.

Il soupira avant de la regarder droit dans les yeux.

-Je ne sais pas si je serai encore en vie demain matin, on ne sait jamais. Alors non, je n’ai pas envie de me prendre la tête pour le passer et ce qui nous a séparés.

Il haussa les épaules, il souffrait de la voir le repousser à nouveau, mais il devait le dire, c’était la seule façon de faire.

-La seule chose dont j’ai envie, s’est de passer ce qui me reste à vivre avec la femme que j’ai épousé.

Il crevait d’envie de savoir s’il restait ne serait-ce qu’un peu de sentiment entre eux. Il voulait savoir ce qu’elle ressentait, mais avait peur de le lui demander. Il savait que sa réplique sur la fuite lui vaudrait sans aucun doute des reproches et une prise de tête, mais il l’avait dit. Il ne pouvait pas revenir en arrière, il ne pouvait pas rattraper ce qu’il avait dit. De toute façon, c’était vrai. Elle avait fui, l’avait abandonné alors que lui, il lui aurait donné sa vie si elle le lui avait demandé. Machinalement, il toucha l’alliance qu’il portait toujours à son doigt. C’était celle qu’elle avait glissé elle-même à cette main le jour de leur mariage. En cinq ans, elle était restée là où elle était. Il n’avait jamais pu se résoudre à la retirer. C’était tout ce qui lui restait d’elle, il avait refusé de l’enlever et la perdre.

C’était devenu un tic nerveux chez lui, lorsqu’il était assaillit d’angoisse, il jouait avec l’anneau à son doigt. Il s’était noyé dans le travail enchaînant les missions dans la marine. Ce n’était pas pour rien qu’il avait l’un des plus jeune commandant de son époque. Il avait fui lui aussi d’une certaine façon, mais il refusait de la perdre. Pas cette fois. La voir avec cet homme, riant à gorge déployée, ça lui avait troué le cœur. Il ne revivrait pas ça, il n’accepterait pas de la laisser partir.

Furieuse de ce commentaire – même s’il n’était pas tout à fait injustifié – Oliva s’avança brusquement vers Len et lui donna un bon coup de poing dans le ventre. Le voir plier en deux aurait été plus réjouissant si sa main ne lui avait pas instantanément fait un mal de chien. Il avait toujours eu des abdos en béton, mais là ça frisait le ridicule. Elle lui avait déjà donné quelques coups – ils s’amusaient à se chamailler bien souvent dans le passé – et jamais elle n’avait eu mal à ce point. A moins que ça soit dû au fait qu’elle l’avait frappé beaucoup plus fort qu’elle ne l’avait jamais fait?

- Depuis quand tu bouffes des cailloux? railla-t-elle en se massant le poing. Maintenant que tu as dit ce que tu avais à dire, dégage de mon chemin, Len. Après ça, il n’y a rien que tu puisses ajouter.

Il disait avoir envie qu’elle reste, mais à la seconde où il avait eu l’opportunité de lui faire de la peine, il l’avait saisie. Pourquoi voudrait-elle rester dans pareille situation? Len savait très bien pourquoi elle était partie, elle l’avait expliqué dans sa lettre, elle lui avait suggéré de refaire sa vie! Elle n’avait pas été égoïste, elle ne s’était pas accrochée à lui comme un boulet qu’il devrait trainer derrière lui jour après jour! Il ne lui aurait pas lancé ce commentaire à la figure qu’elle aurait peut-être fini par fléchir, elle serait peut-être restée un certain temps, mais après ça… comment Olivia pourrait-elle rester? Il disait qu’il ne savait pas s’il serait encore en vie le lendemain, il disait vouloir passer le temps qu’il lui restait avec la femme qu’il avait épousée. Pas celle qu’il aimait. Non, celle qu’il avait épousée. C’en disait long sur ce qu’il ressentait vraiment. Il ne voulait juste pas être seul, voilà comment la jeune femme avait compris sa phrase. S’il avait dit qu’il l’aimait encore, peut-être aurait-elle fini par craquer, mais là… c’était peine perdue. S’il l’avait aimée encore, Len l’aurait dit. Il n’aurait pas tourné autour du pot, ce n’était pas son genre.

Livia n’avait pas manqué de remarquer le geste que Len avait fait, faire tourner son alliance sur son doigt. Ce n’était pas tant le geste qui la surprenait que de constater qu’il la portait encore. Elle battit frénétiquement des paupières pour chasser les larmes qu’elle sentait monter. Elle aussi avait cette manie-là, celle de vouloir faire bouger son alliance avec le bout de son pouce. Olivia le faisait très souvent sans même s’en rendre compte. Elle ne s’apercevait de ce qu’elle était entrain de faire que lorsqu’elle réalisait qu’elle ne portait plus son alliance et sa bague de fiançailles. La jeune femme avait mis longtemps avant d’arrêter d’avoir l’impression qu’il manquait quelque chose à son doigt. Depuis que Len lui avait demandé de l’épouser jusqu’au jour où elle l’avait quitté, sa bague ne l’avait jamais quittée. Même chose pour son alliance qu’elle avait porté depuis le jour de leur mariage.

- Tu sais très bien pourquoi je suis partie. Tu pouvais refaire ta vie, je t’ai écrit de ne pas perdre ton temps à m’attendre. Mes frères te l’ont dit aussi, j’étais là quand ils te parlaient au téléphone. Ç’a été dur de partir, alors ne rends pas les choses encore plus compliquées en t’entêtant à vouloir que je reste pour ne pas rester seul.

Olivia se mordit la lèvre et expira lentement par le nez avant d’ajouter:

- Si tu te débarrasses de cette alliance-là et que tu fais preuve d’un peu d’ouverture, tu vas voir que les femmes vont te manger dans la main. Ç’a toujours été le cas, je ne vois pas pourquoi ça serait différent maintenant.

Elle attendait maintenant qu’il s’écarte de la porte pour qu’elle puisse enfin partir. Parce qu’il bloquait encore carrément le chemin, même après le coup de poing dont elle l’avait gratifié. Il s’était plié en deux, mais il n’avait pas bougé d’un poil en ce qui concernait sa position devant la porte.

Il ne s’était pas préparé à ça. Il n’avait pas prévu qu’elle le frapperait, il n’aurait pas eu le souffle coupé et elle aurait beaucoup plus mal à la main que maintenant. Mais même avec le souffle coupé par le coup qu’elle lui avait envoyé, il n’avait pas quitté son poste. Au contraire, il s’était plutôt appuyé contre la porte pour garder pied et surtout l’empêcher de sortir de la chambre. Il se laissa lentement glissé au sol après avoir écouté tous les propos de la jeune femme. Il savait pourquoi elle était partie, mais n’avait jamais compris pourquoi elle l’avait fait. Pourquoi ne lui avait-elle jamais laissé la chance de lui faire comprendre à quel point il l’aimait et qu’il ne pouvait pas vivre sans elle. Ses frères lui avaient raconté la même histoire qu’elle sur ce bout de papier, de refaire sa vie, de laisser tomber, de ne plus tenter de joindre Livia qu’elle souffrait de ses tentatives de la contacter. Mais lui alors? Lui ne souffrait pas selon eux? Que devait-il faire? Simplement l’oublier? Non, il ne le pouvait pas, il n’avait pas pu même après l’avoir vu rire aux propos de cet homme dans ce restaurant. Il n’avait pas pu. Il regarda la jeune femme, droit dans les yeux, le visage fermé. Il ne voulait laisser filtrer aucune émotion sinon elle saurait à quel point il souffrait.

-Ce que tu as oublié dans l’histoire Livia, c’est de me demander mon avis.

Il n’était pas d’accord avec son départ, pas d’accord avec l’idée qu’elle le quitte et qu’elle veuille qu’il puisse avoir une nouvelle femme, une nouvelle vie et une famille. Ils auraient pu avoir tout ça tous les deux. Non, ce n’aurait pas été leur enfant biologique, mais qu’est-ce qu’il en avait a foutre? Un enfant que l’on choisit n’est-il pas aussi bien qu’un enfant que l’on crée soi-même? Pour lui si et cette pensée s’était renforcée en lui depuis qu’il avait rencontré Ayana dans cet endroit. Elle était une enfant de la rue, une enfant qu’ils auraient pu adopter si Livia était restée avec lui. Cette enfant-là aurait mérité tout l’amour qu’ils avaient à offrir. Maintenant, l’adolescente avait été adoptée par l’un des couples du groupe qui avait créée cet endroit. Elle était bien, elle était aimée et il était heureux de la voir s’épanouir à leur contact. Lui aussi l’aidait du mieux qu’il le pouvait, c’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle l’avait proposé comme chef de la « sécurité ». Il était heureux d’avoir ce rôle. Mais ce n’était pas la question à ce moment-ci.

-La femme que j’ai épousée, je lui ai faite une promesse. Je la tiens toujours aujourd’hui et je n’ai aucune envie de retirer cette alliance et de « m’ouvrir » aux autres.

Oui, il avait promis dans ses vœux de l’aimer pour toujours et ce jusqu’au jour de sa mort. Il savait qu’elle se souvenait de cette promesse, elle lui avait dit dans sa lettre qu’il était délesté de celle-ci. Elle ne lui avait pas demandé son avis, il n’était pas d’accord et n’avait eu aucune envie de tomber amoureux d’une autre femme. Il n’avait même pas cherché. Il n’avait pas « pris » la décision de garder son alliance, il ne l’avait pas enlevé. Ils étaient toujours mariés et pour lui c’était important peu importe ce qu’elle en pensait à ce moment. Il secoua la tête.

-Ce n’est pas d’une femme qui mange dans ma main dont j’ai besoin, mais de la mienne.

Il se releva lentement, la douleur n’était plus grand-chose, mais il n’avait pas pris de chance. Il la regarda, elle semblait s’être fait éclatée une petite veine dans une des jointures, c’est probablement ce qui faisait qu’elle avait eu si mal. Il soupira et tendit la main.

-Montre-moi ta main. S’il-te-plaît.

Elle aurait sans aucun doute besoin de glace. Il avait été poli. Sa pique sur la fuite avait fait son effet, il n’allait pas faire exprès pour la blesser encore plus. Cette pique-là était partie toute seule, avait franchi ses lèvres avant qu’il n’ait pu réaliser que ce n’était pas bien de dire ça. Il n’allait pas s’excuser car c’était la vérité. Elle avait fui et l’avait laissé derrière elle. Elle l’avait tout simplement abandonné croyant qu’elle n’était plus ce qu’il désirait car elle ne pouvait lui offrir d’enfant. Il avait eu beau lui dire et répété qu’il l’aimait de tout son cœur, elle n’avait pas pu le croire. Ce ne serait pas différent maintenant, il le comprenait. Cette constatation lui fit bien plus mal que le poing qu’elle lui avait balancé dans le ventre. Il dû faire un effort surhumain pour garder un air neutre en la regardant. Elle ne l’aimait plus, elle était là pour le convaincre de signer les papiers, c’est ça qu’elle était à Houston quand tout ça avait commencé. Il le comprenait maintenant.

On y était. Maintenant, Leonard s’entêtait réellement. Elle aurait ignoré ses commentaires et partir pendant qu’il s’était laissé glisser au sol. Si elle avait eu pour deux sous de jugeote, voilà ce que Livia aurait fait. Était-elle masochiste au point de s’infliger cette discussion? Là, maintenant? Pourquoi est-ce qu’il revenait là-dessus? Après cinq ans? Il avait raison, elle ne lui avait pas demandé son avis. Si Olivia ne l’avait pas fait, c’était parce qu’elle savait qu’il mettrait tout en œuvre pour la faire changer d’avis sur la question. Même après tout ce temps, il ne comprenait pas encore à quel point elle s’était sentie diminuée à ce moment-là. Alors non, il n’avait pas le droit de raconter n’importe quoi, de dire qu’il avait besoin d’elle, qu’il ne voulait pas d’autres femmes qu’elle, que les promesses faites à l’époque étaient toujours valables aujourd’hui. Non, elle ne le croyait pas. Si c’était vrai, il serait venu la rejoindre, il aurait tout tenté pour la faire revenir à la maison avec lui. Il ne se serait pas contenté de tenter de la joindre au téléphone ou par texto. Pour ensuite se lasser au bout d’un mois. Ouais, on pouvait le dire, il l’aimait sa femme!

- Arrête de raconter n’importe quoi, Len! s’écria Livia en secouant la tête. Tu as téléphoné jour après jour pendant un mois et après, silence radio! Tu savais où j’étais et tu n’es jamais venu me chercher. Alors arrête, bon sang!

Il ne l’avait pas fait. Voilà ce que Livia avait du mal à comprendre. Il avait tenté de la joindre tous les jours durant un mois entier, téléphonant ses frères pour qu’ils essaient de lui faire entendre raison – ce qu’ils avaient bien tenté de faire sans réel succès – mais jamais il ne s’était pointé à New York. Il avait toujours su où la joindre, où elle habitait. Son frère avait fini par le lui dire après une soirée bien arrosée qu’il avait passée avec elle parce qu’elle était triste et déprimée. Alors non, Len n’avait aucun droit de dire qu’il lui avait fait une promesse et qu’il comptait bien la tenir encore aujourd’hui. Il avait dû se sentir bien soulagé quand il avait enfin arrêté de tenter de lui parler. Alors qu’il dise ce qu’il voulait, mais qu’il ne prétende jamais avoir besoin de sa femme et non de toutes celles qui mangeraient dans sa main s’il le voulait bien.

- Je ne voulais pas être un boulet que tu serais obligé de trainer derrière toi jour après jour. marmonna Livia en se détournant de Len et en s’approchant de la fenêtre, regardant à l’extérieur sans réellement voir le paysage. Sans se préoccuper du fait que Len voulait voir sa main. Elle pouvait bien être cassée que Livia s’en fichait complètement.

Pour le reste, il n’y avait rien à ajouter. Il connaissait exactement les raisons qui l’avaient poussée à partir. Peut-être Len ne pourrait-il jamais comprendre à quel point elle avait pu se sentir diminuée, moins… femme quand le diagnostic était tombé. Comment aurait-il pu le comprendre alors qu’elle-même peinait à mettre des mots sur ce qu’elle ressentait? Elle avait bien tenté de faire face, de continuer à vivre malgré tout, mais ça lui revenait chaque jour comme une gifle en pleine figure. Pas un seul jour ne passait sans qu’elle ne sente cette douleur, sans que son cœur ne se serre à l’idée que son seul rêve lui était désormais quasi impossible à atteindre.

-Je ne suis jamais venu? Je …

Il secoua la tête, il aurait dû y penser. Son beau-frère était tellement content de le voir débarquer à l’improviste et lui dire où elle se trouvait se gardant bien de mentionner qu’elle était avec un homme. Non, ça lui aurait fendu la gueule de le lui dire, son beau-frère voulait qu’il voit à tout prix. Il eut un sourire triste.

-Peu importe, tu n’as qu’à croire ce que tu veux.

Elle se mit à dire qu’elle ne voulait pas être un boulet dans sa vie qu’il traînerait jour après jour. Seigneur, ce qu’il ne fallait pas entendre. Il se serait traîné à ses pieds si elle lui en avait seulement laissé la chance. Il aurait fait n’importe quoi pour qu’elle lui revienne. Ses frères avaient menacé de faire émettre un avis de restriction contre lui s’il n’arrêtait pas d’appeler. Que lui restait-il comme solution? Il avait attendu quelques mois, quelques temps, il ne savait plus combien exactement et quand il s’était pointé là-bas, on lui avait dit avec plaisir où elle se trouvait. Il avait eu le cœur brisé de la voir si heureuse avec ce mec, il l’avait donc laissé tranquille à partir de ce moment-là. Mais il n’allait pas lui faire le plaisir de lui dire. Il se moquait de ce qu’elle pensait, il savait la vérité et ça lui suffisait. Il se passa la main au visage.

-Très bien Olivia. Reste quand même ici, garde cette chambre. Je ferai en sorte de dormir dans le bureau de la sécurité et je verrai à ce qu’on m’assigne un autre endroit pour dormir. Laisse-moi au moins le plaisir de te savoir en sécurité.

Il ouvrit la porte et sortit de la pièce. Il avait mal, tellement mal de l’entendre parler d’elle en ses termes, il revient sur ses pas et ouvrit la porte, il avait encore une chose à lui dire.

-Je ne t’ai jamais considéré comme un boulet et peu importe ce que tu crois, je t’aime et je t’aimerais sans aucun doute jusqu’à ma mort.

Il la laissa ainsi, reprenant le chemin du couloir. Il l’avait embrassé en la voyant, il n’était pas du genre à embrasser une femme qu’il n’aimait pas. Il n’était même pas du genre à coucher avec une femme qu’il n’aimait pas. Il ne comprenait pas les hommes qui allaient voir des prostituées, mais il ne jugeait pas non plus ses femmes qui faisaient ce métier, seulement lui ne comprenait qu’il y ait assez de mec intéressé pour qu’on puisse faire commerce des femmes ainsi. Il détestait s’être pris la tête avec Olivia, il détestait qu’elle ne l’aime plus. Il avait l’impression qu’on venait de lui arracher le cœur une troisième fois. La première lorsqu’elle était partie, la deuxième lorsqu’il avait compris, en la voyant avec cet homme, qu’elle ne l’aimait plus et était passé à autre chose et là maintenant. Il ne pouvait pas se réfugié dans le travail comme il le faisait avant. Son bateau lui manquait, son équipage lui manquait. La flotte au complet en fait. Ce métier lui permettait de se vider la tête complètement, mais il n’aurait plus jamais la joie de le faire. Comme il n’aurait plus jamais le plaisir d’être aimé par sa femme.