A Window Away - Pv Ally

Le soleil tapait dur sur l’asphalte de la ville texane. Les rayons de l’astre se reflétaient sur le métal brûlant des voitures abandonnées sur la chaussée. Jane pouvait se targuer d’avoir accompli toutes les taches essentielles à sa survie en ce jour torride. Une fois n’est pas coutume, elle était parvenue à se nourrir, à s’hydrater et avait même dégotté un nouveau t-shirt, le tout bien avant la tombée de la nuit. Toutefois, l’estomac plein et la soif apaisée, son esprit ne tardait pas à ouvrir la porte à ses angoisses, ses obsessions, ses tourments.

Jane survivait loin de sa famille mais elle ne pouvait se résoudre à couper totalement le contact. Entre deux visites formelles, lorsque son quotidien lui offrait quelques heures d’oisiveté, elle avait pris l’habitude de se glisser jusqu’à l’immeuble faisant face à l’Omni Houston Hotel, l'un des bâtiments appartenant au groupe de sa jumelle. Elle y passait de longues minutes à guetter la présence de sa soeur. Certains jours, lorsque la chance était de son côté, elle parvenait à l’apercevoir pendant quelques furtives secondes. Un sourire éphémère s’affichait alors instantanément sur son visage et un bref sentiment de plénitude la traversait, avant de s’estomper face à l’amère réalité de leur situation.

La jeune femme savait qu’elle n’avait qu’à prononcer un mot pour rejoindre le clan de sa soeur et vivre à ses côtés. Certes, son groupe n’affichait pas une politique d’ouverture très prononcée mais Ally et James avaient suffisamment d’influence auprès des leurs pour faire pencher la balance en sa faveur. De plus, Jane avait acquis tellement d’expérience qu’il serait étrange de ne pas la considérer comme un atout. Parfois, la jeune femme se surprenait à douter. Il lui arrivait certains soirs de prendre la route du camp de sa jumelle ou de ses frères mais elle revenait toujours sur ses pas. En effet, son éloignement n’était qu’une mesure symptomatique qui ne l’avait en aucun cas libérée de ses vieux démons. Par ailleurs, après tant de mois passés seule, elle se demandait si elle parviendrait un jour à se réadapter à la vie en communauté ou si elle s’était définitivement condamnée à la solitude de l'exil.

Jane entreprit de sécuriser une ancienne bijouterie située au rez-de-chaussée du fameux immeuble faisant face à l'hôtel. Elle savait qu’elle ne pourrait pas se permettre de rester dans cette pièce bien longtemps. Il s’agissait d’un observatoire de choix mais la topographie des lieux rendait le local très vulnérable. La jeune femme détourna quelques instants le regard vers une parure dont les diamants disloqués jonchaient le sol. La valeur des choses était tellement subjective et variable. Un sourire sarcastique se dessina sur ses lèvres. Jane leva les yeux vers la vitrine. Cette dernière était tellement sale que l'on pouvait à peine voir à travers. Elle s'en approcha puis tenta de dissiper la couche de crasse et de poussière qui recouvrait le verre à l’aide de la paume de sa main.

La brune paya cher cet instant de distraction. Elle sentit quelque chose lui frôler le mollet. Elle dégaina instantanément son Ka-Bar tout en pivotant sur elle même puis s'empressa de démembrer le rôdeur qui, dénué de jambes, rampait à terre. Après lui avoir enfoncé sa lame dans le crâne, Jane décida de quitter les lieux avec précipitation. Elle ne s'y sentait pas en sécurité. Longeant la paroi, elle tenta de s'extraire de ces lieux afin de trouver un endroit où s'abriter le temps de reprendre son souffle.

Ce soir-là, James et Ally étaient de garde. Le but de la manœuvre? Empêcher que des inconnus viennent les piller et empêcher qu’un trop grand nombre de rôdeurs ne s’amènent devant leur porte et ne rameutent les autres. Une clôture délimitait le terrain sur lequel l’hôtel était construit et c’était pour cette raison qu’ils y avaient élu domicile depuis quelques mois. Il n’était pas trop loin du métro, ce qui était un plus, mais la clôture, c’était vraiment ce qui les avait décidés à y loger. La clôture délimitait bien leur territoire, elle obligeait quiconque voulait entrer à se manifester, mais le plus important, elle gardait les rôdeurs à distance. Ils n’avaient pas à craindre de se faire attaquer dès qu’ils mettaient le nez à l’extérieur.

Dans un autre ordre d’idées, Alicia s’inquiétait pour sa sœur. Certes, elle s’en faisait aussi pour ses frères, mais eux étaient ensembles. Jane, elle, était toute seule depuis des mois et ça rendait Ally malade d’inquiétude. Elle pouvait être un petit bout de temps sans avoir de nouvelles de sa jumelle et chaque fois, ça la stressait. Ally faisait souvent le même cauchemar, au point qu’elle avait du mal à fermer l’œil. James tentait bien de la rassurer, mais c’était plus fort qu’elle. Son cauchemar était récurent, elle le faisait tellement souvent qu’elle le connaissait par cœur. Sauf quand il y avait une variante qui incluait Kaleb, Raffael ou même Mackenzie. Ally ne devrait plus en avoir peur, mais elle refusait catégoriquement de dormir. Quand elle finissait par s’endormir, c’était uniquement parce qu’elle était à bout de force.

Son cauchemar était toujours le même. Elle était de sortie pour le ravitaillement et elle tombait sur Jane. Transformée en rôdeur. Ally était incapable de mettre un terme à la « vie » de sa jumelle et James était obligé de le faire à sa place. La variante, c’était que Jane n’était pas la seule à être devenue rôdeur. Un de ses frères ou Mac l’accompagnait et Ally n’était pas davantage en mesure de mettre un terme à cette errance, il fallait toujours que James s’en charge pour elle. Et la jeune femme se réveillait en sueur à chaque fois.

Aussi s’était-elle portée volontaire ce soir-là n’étant pas prête à refaire ce cauchemar à nouveau. Elle l’avait déjà eu la nuit d’avant, c’était suffisant. Ally était devant l’entrée de la grille et elle avait l’esprit ailleurs. Elle n’était pas très concentrée sur son boulot, mais d’un autre côté, il n’y avait rien de particulièrement excitant à faire des rondes. Alicia, étant de mauvaise compagnie, avait suggéré à son homme qu’il parte de son côté et qu’ils se joignent au milieu. C’était idiot et pas très pratique, mais la jeune femme se sentait coupable d’être de si mauvaise compagnie. En son for intérieur, elle sentait – comme peuvent le sentir les jumeaux – que Jane n’allait pas bien. Elle ne saurait pas dire ce qui lui arrivait ou pourquoi elle avait ce sentiment, mais toujours était-il qu’il était là et que ça l’angoissait. Ce qu’elle n’aurait pas donné pour Jane accepte de se joindre à son groupe. Ou à celui des garçons!

Elle allait retourner sur ses pas lorsqu’elle entendit un bruit étouffé qui lui fit dresser l’oreille. Le bruit se reproduisit et Ally tenta de déterminer d’où il provenait. A cause des rayons du soleil couchant, elle plissait les yeux pour voir, mais n’arrivait pas à voir quoique ce soit. Le bruit se reproduisit, mais il était plus fort cette fois-ci. Ça provenait de l’ancienne bijouterie. Bizarre. Qui aurait l’idée d’aller se cacher là? Ils avaient vite fait le tour de la petite boutique et il n’y avait rien d’utile. Les diamants pourraient peut-être avoir une certaine utilité puisque c’était le matériel le plus dur qui existait, mais à moins d’avoir un bon bricoleur comme Raff, ça ne leur servait à rien. Alors sans plus réfléchir, Ally pris soin de regarder partout autour avant d’ouvrir la grille et elle franchit la rue en sortant le couteau de chasse que Kal lui avait refilé quelques mois plus tôt. S’il y avait un rôdeur là-dedans, autant s’en débarrasser avant qu’il ne rameute les autres.

Alicia rentra rapidement sans faire de bruit et laissa son oreille la guider. Elle arriva juste à temps pour voir une femme aux longs cheveux bruns tenter de s’esquiver. La pénombre devait lui jouer des tours, ça ne pouvait pas être…

- Jane? C’est bien toi?

Jane progressait le long du mur. Dehors, le soleil était déjà en train de se coucher et ses rayons peinaient à traverser la saleté maculant les vitres si bien que l’intérieur du bâtiment sombrait minute après minute dans une pénombre plus intense. La jeune femme n’avait pas vu le temps passer, elle commençait à regretter son initiative. Elle n’aurait probablement pas le temps de trouver un abri décent avant que l’astre solaire ne disparaisse sous l’horizon, or se lancer dans une telle expédition à l’aveugle était suicidaire. Une nouvelle nuit d’errance et de veille l’attendait, probablement. Jane avait appris à réprimer son optimisme. Elle s’attendait désormais toujours au pire afin d’éviter d’être déçue. Il ne s’agissait pas que d’un confort psychologique, c’était une question de survie. Avoir le moral était aussi important que de satisfaire ses besoins en nourriture, en eau, en sommeil. Tout était imbriqué. Par ailleurs, quelques secondes de distraction provoquées par l’arrivée d’un sentiment négatif étaient amplement suffisantes pour laisser à un rôdeur le temps de la croquer.

La jeune femme se rapprochait à pas de chat de la porte de derrière lorsqu’elle entendit un léger bruit provenant de l’entrée de la bijouterie, bien trop léger pour être le fait d’un zombie. Elle sortit son semi-automatique de la poche arrière de son pantalon puis s’apprêta à pivoter doucement sur elle-même. C’est alors qu’une voix résonna derrière elle. Sa propre voix. La jeune femme se retourna précipitamment. Ally, son double, celle qu’elle ne voyait habituellement qu’en songes et en rêves se tenait devant elle.  

Sans qu’une seule pensée n’ait le temps de traverser son esprit, Jane se précipita vers sa soeur et la serra aussi fort qu'elle le pouvait dans ses bras pendant quelques longues secondes. Les deux moitiés formaient à nouveau un tout. Jane eut l’espace d’un bref instant l’impression d’être absolument comblée, que rien ne lui manquait, que tout allait bien. Le cerveau de la jeune femme se remit toutefois rapidement en route. Elle n’avait pas eu le temps de sécuriser les lieux et cet endroit ne lui inspirait absolument pas confiance. Elle mit fin à l’étreinte, attrapa la main de sa jumelle puis l’entraîna vers l’extérieur. « Sortons d’ici. »

Une fois à l’air libre, Jane eut tout le loisir de regarder le visage de sa jumelle, éclairé par la douce lumière du crépuscule. Ally semblait quelque peu amaigrie et fatiguée mais elle la trouvait belle. La jeune femme se demandait parfois si elles se ressemblaient toujours autant qu’avant. En effet, les jumelles avaient toujours été identiques. Sans réellement fournir d’effort, elles avaient pendant vingt-huit ans réussi l’exploit de partager le même poids, la même taille, la même voix, le même style vestimentaire, la même coiffure et, pour certaines, les mêmes cicatrices. Toutefois, ces derniers mois, leurs conditions de vie étaient devenues tellement rudes et les chemins qu’elles avaient respectivement pris étaient tellement différents qu’il était difficile de concevoir que cela ne se soit pas inscrit sur leurs corps. Outre sa maigreur, la jeune femme avait remarqué que son visage était plus rigide, plus fermé. Ses quelques rides naissantes étaient désormais plus marquées. Après réflexion, Jane avait conclu qu’elle ne voulait pas avoir de réponse à sa question, cette dernière risquait en effet de porter un lourd symbole qu’elle n’était pas prête à affronter. La jeune femme chassa ces pensées de son esprit et esquissa un sourire. « Je suis tellement heureuse de te voir !»

C’est à peine si Alicia eut le temps de réellement voir le visage de sa jumelle, car dès que Jane entendit sa voix, elle se précipita sur elle pour la serrer dans ses bras. Ally voulut serrer sa sœur contre son cœur, mais cette dernière l’attrapa par la main et l’entraîna à l’extérieur de la bâtisse. Mais quand sa jumelle lui dit qu’elle était tellement heureuse de la voir, le sang d’Alicia ne fit qu’un tour. Si Jane voulait la voir, elle savait où la trouver. Elle savait aussi qu’elle était la bienvenue dans l’hôtel et que les autres avaient tout intérêt à accepter que Jane se joigne à eux. Parce qu’Ally ficherait le camp si sa sœur n’était pas acceptée. Et James la suivrait. Ils étaient tellement sélectifs qu’ils ne pouvaient en aucun cas se permettre de perdre les gens qui étaient un quelconque atout pour eux.

- Moi aussi je suis heureuse de te voir, mais bon sang, Jane! Pourquoi tu te cachais là-dedans?

Ça, c’était une autre chose qu’Alicia ne s’expliquait pas. Pourquoi sa sœur se cachait-elle dans cette bâtisse? Pourquoi ne pas être venue à la grille directement? Était-ce… était-ce pour voir Ally de loin et repartir comme si de rien n’était? Si tel était le cas, Alicia allait piquer une crise. Elle s’inquiétait pour sa sœur depuis des mois et elle, elle venait pour la voir de loin et même pas tenter de prendre contact avec elle? Même si ça lui semblait totalement dingue, au fond d’elle, Ally ne pouvait pas s’empêcher de penser que c’était typiquement le genre de réflexion que son double aurait faite. Sa façon d’envisager les choses depuis cette malédiction était pour le moins… étrange et Ally avait du mal à comprendre celle qu’elle pouvait comprendre, auparavant, d’un seul coup d’œil.

Ally fixa sa sœur un long moment, la regardant de haut en bas. Elle était maigre à faire peur, presque un paquet d’os. Si Kaleb ou Raffael la voyaient ainsi, ils la ramèneraient de force à l’hôpital pour que Kal la remette sur pied. C’était dans des moments comme celui-là qu’Alicia regrettait de ne pas avoir la force physique de ses frangins. Elle se serait contentée de soulever sa sœur et de la traîner de force avec elle. Malheureusement, ce n’était pas une option envisageable. Ally aurait pu crier le nom de son homme et il se serait pointé en moins de 30 secondes top chrono, elle aurait pu lui demander de trimballer Jane jusqu’à leur chambre, mais Alicia savait aussi que sa jumelle profiterait peut-être d’un moment d’inattention de sa part pour lui fausser compagnie.

- Depuis que tout a commencé, je t’ai fiché la paix, je ne t’ai pas posé de questions, je ne t’ai jamais forcée à te joindre à moi ou aux garçons, mais là Jane, ça ne peut plus durer. commença lentement Alicia en regardant son double droit dans les yeux. Qu’est-ce qui t’arrive? Pourquoi tu tiens tant à rester toute seule? Ça me tue. Ça nous tue de s’inquiéter parce qu’on ne sait jamais dans quel état on te retrouvera. Tu sais que tu peux tout me dire, tu sais que si tu me demandes le secret, je ne dirai rien aux garçons, mais je t’en prie, parle-moi. poursuivit-elle, un peu plus pressante.

La jeune femme préféra lui taire ses cauchemars. Elle ne voulait pas ajouter au fardeau de sa sœur. Tout ce qu’elle voulait, c’était comprendre. En voyant les lèvres desséchéesMAis de sa sœur, Ally s’empêcha de secouer la tête et retira son pack-sac de sur son dos et en sortit sa gourde d’eau qu’elle tendit à Jane.

- Est-ce que Kal et Raff t’ont vue dans cet état-là? Ça m’étonnerait parce qu’ils t’auraient forcée à revenir à l’hôpital avec eux.

Et ils auraient eu entièrement raison de le faire.

La béatitude de ces retrouvailles ne tarda pas à se voir entachée. Ally semblait irritée, elle avait amplement le droit de l’être. Jane se rembrunit. Elle s’était bien rendue compte que son entrée en matière était loin d’être fine. Aborder sa soeur qu’elle évitait depuis tant de mois comme si elle revenait simplement de quelques semaines de vacances à Tahiti était totalement stupide et maladroit mais Jane n’avait rien trouvé de mieux à dire. Sa jumelle n’aurait probablement pas davantage apprécié si elle lui avait servi un « Oh, mince, tu n’étais pas censée me voir ». C’était pourtant la vérité.  Ally lui demanda ce qu’elle faisait dans cette bijouterie. Jane n’avait aucune envie de mentir à sa jumelle, pas plus qu’elle n’en avait de lui dire la vérité. Elle se contenta d’une réponse laconique, adoucie par un discret sourire. « Si je m’étais cachée, tu ne m’aurais pas trouvée. »

Sa jumelle ne tarda pas à rentrer dans le vif du sujet. Elle savait sûrement qu’entre la forte probabilité d’être interrompue à tout moment par des rôdeurs et la propension naturelle de Jane à fuir, elle avait intérêt à ne pas trop tourner autour du pot. Peut-être aussi qu’elle n’avait tout simplement pas pu retenir ces mots plus longtemps. Plus le temps passait, plus les langues de ses frères et soeurs se déliaient. Leurs inquiétudes avaient cessé d’être tacites. Elles se traduisaient désormais par des manifestations beaucoup plus explicites et explosives. Peut-être commençaient-ils à comprendre que le choix de Jane était bien plus qu’un simple caprice, qu’un basique besoin de s’affirmer et de tester ses limites. Peut-être commençaient-ils à comprendre qu'il se pouvait qu'elle ne revienne pas, dans tous les sens du terme.

Que pouvait-elle lui répondre ? Elle ne parvenait pas à se comprendre elle-même. Une puissante force la poussait à fuir, à s’éloigner mais ses composantes étaient plus emmêlées et obscures qu’une forêt de ronces sous une nuit sans lune. Plus elle restait en marge des autres et de tout ce qui reste de bon dans ce monde, plus elle s’infligeait l’horreur, la faim, la mort, plus la probabilité que tout cela ne soit qu’un horrible cauchemar séduisait son esprit. Peut-être se réveillerait-elle dans des draps de soie, dans une petite maison au bord de l’océan, à ses côtés. Il ouvrirait la fenêtre et une douce brise viendrait soulever ses cheveux. Il déposerait un baiser sur ses lèvres et tout serait oublié.

Warren était mort. Elle avait tué Warren. Tant que ces phrases ne sortaient pas de sa bouche et restaient prisonnières de ses pensées, cette réalité demeurait virtuelle. Peut-être qu’elle se fichait de mourir car elle n’était pas persuadée d’être réellement en vie. Peut-être qu’il fallait qu’elle abandonne pour se libérer de ce cauchemar. Tout était si complexe. Certains jours, elle avait l’impression de flotter dans un univers onirique. Jane répondit à la foule de questions de sa soeur avec calme et détachement, lui servant la même soupe qu’à l’accoutumée, sachant pertinemment que sa jumelle ne l’avalerait pas. « Il n’y a rien à comprendre, j’ai juste besoin d’être seule, Ally. Je vous aime plus que tout au monde et je comprends vos réactions mais si vous m’aimez aussi, il faut que vous respectiez mon choix. C’est tout ce que je vous demande. »

La jeune femme esquissa un petit sourire triste. Elle parlait d’un choix mais ce n’en était pas un. Elle se sentait aussi impuissante que sa soeur et ses frères face à la situation, comme si elle n’était que le jouet d'une fatalité sadique et des méandres de sa psyché. Ally lui demanda si ses frères l’avaient vue récemment. Sa jumelle semblait ignorer que Raff lui avait sauvé la vie quelques jours auparavant, qu'elle avait frôlé la mort de très près. Jane préféra ne pas évoquer l’épisode. « Ils ne me forceraient jamais à faire quoi que ce soit contre mon gré. Vous vous inquiétez tous beaucoup trop. » Jane prit une petite gorgée de la gourde que lui tendait sa soeur puis la lui rendit. Elle n’avait pas particulièrement soif mais elle savait qu’accepter ce genre de petites attentions était le seul lest qu’elle était en mesure de lâcher. La jeune femme fixa sa jumelle dans les yeux et poursuivit d'une voix posée. « Je suis forte, ma belle. Si j’ai survécu jusque là, je peux survivre jusqu’au bout. » Au bout de quoi ? Elle l’ignorait.

« Si je m’étais cachée, tu ne m’aurais pas trouvée. »

Sur ce point, Alicia ne pouvait pas la contredire. Enfants, quand les jumelles et leurs frères jouaient à la cachette, c’était toujours Ally qui se faisait attraper en premier… et celle qui n’arrivait jamais à retrouver les autres. Ça n’avait pas tellement changé depuis le temps. Sauf que maintenant, Ally avait James pour se cacher et lui, il était champion là-dedans. Son passage dans l’armée y était sans aucun doute pour quelque chose, sans compter que ça devait être un talent naturel chez lui.

Si la minuscule gorgée d’eau que Jane consentit à prendre devait servir à la rassurer, Alicia n’était pas dupe C’était juste pour lui faire plaisir, un peu de poudre aux yeux. Ce qu’Ally n’arrivait pas à comprendre, c’était pourquoi sa sœur refusait systématiquement toute aide extérieure. Que ce soit la sienne ou celle des garçons. Pourquoi tenait-elle tant à s’isoler comme elle le faisait? Tous les quatre, ils avaient toujours été très proches les uns des autres. Elles avaient partagé la même angoisse quand les garçons partaient en mission pour l’armée, alors pourquoi Jane leur faisait-elle vivre la même chose? A une autre échelle bien sûr, mais revenir vers eux quelques instants – quand elle ne se faisait pas pincer – pour repartir en les laissant derrière elle pour être seule de son côté. C’était à ne rien y comprendre. Et voilà qu’elle disait qu’ils devaient respecter son choix?

- Tu ne crois pas que si on ne respectait pas ton choix, ça ferait des mois que tu ne serais plus entrain de cavaler toute seule? interrogea-t-elle un peu plus durement qu’elle ne l’aurait voulu.

Parce que ça, oui! S’ils n’avaient pas tenu à respecter la décision de Jane, les trois autres Birmingham l’auraient forcée à choisir un camp et à rester avec eux. Ils l’auraient attachée si nécessaire pour éviter qu’elle fiche le camp dès qu’ils auraient eu le dos tourné. Alors non, Jane n’avait pas le droit de lui dire carrément qu’ils devaient respecter son satané choix! D’ailleurs, ils le faisaient à contrecœur. Mais peut-être était-il temps de la forcer à arrêter de fuir.

- Tu as beau être forte, on a tous besoin de quelqu'un... les humains sont fait pour vivre ensemble pas séparés. Et j'ai beau respecter ton choix, ton absence me fait me sentir la moitié de moi-même.

Au fond d’elle-même, Ally se demandait si le fameux Warren que Jane fréquentait il y avait déjà un bon bout de temps n’y était pas pour quelque chose. Elle n’avait pas de preuves, Jane refusait de lui raconter quoique ce soit, mais hormis un homme qu’est-ce qui pourrait pousser sa sœur à garder ses distances comme elle le faisait? Franchement, Alicia ne le savait pas, aussi optait-elle pour ce fameux Warren. Son instinct lui soufflait qu’elle avait mis le doigt sur quelque chose, mais sans preuve formelle, c’était difficile d’affirmer qu’elle avait raison. De ce qu’elle savait, Jane et lui s’étaient fréquentés durant un moment avant de se brouiller pour une raison qu’Ally ne connaissait pas. Qu’avait-il bien pu se passer entre le moment où ils s’étaient séparés et celui où les rôdeurs avaient commencé à faire leur apparition? Elle aurait pu faire une déduction facile: Warren était mort à cause des rôdeurs et ç’avait brisé le cœur de Jane. Ally était à mille lieux de s’imaginer que sa sœur avait dû mettre elle-même un terme à la vie de Warren.

Si Ally savait à quel point sa soeur avait le coeur brisé, elle aurait pu essayer de l'aider. Mais Jane avait préféré garder le silence. Elle avait préféré ne dire à personne. Ne pas dire qu'elle avait dû tué l'homme qu'elle aimait, que cette terrible histoire avait brisé quelque chose en elle et qu'elle ne voyait plus la vie de la même façon. Si Jane avait pris le temps de le lui expliquer, Ally aurait compris et peut-être mieux accepté la situation à laquelle elle faisait face aujourd'hui. Mais Jane avait plutôt créé un fossé entre elles. Un fossé qu’Alicia ne parvenait pas à remplir… et avait peur de ne jamais pouvoir combler. Ally n'avait plus un double, elle n'avait plus qu'un ombre face à elle. Une ombre prête à s'effacer si elle la touchait de trop près.

Jane sentait que l’incompréhension de sa soeur atteignait un seuil critique. Ses paroles, son ton l’écorchaient. Comment lui en vouloir ? C’est elle-même qu’il fallait blâmer. La jeune femme subissait, s’infligeait la triple peine de la souffrance, de l’éloignement et de la culpabilité. Elle le méritait. Elle acceptait d’encaisser la faim, la douleur, les reproches, la colère. Elle acceptait de se laisser ronger par l’acide qui coulait dans ses veines. Elle méritait cet exil. Jamais elle ne parviendrait à rembourser sa dette, la dette d’une vie qu’elle n’avait pas pu sauver, la dette d’une vie à laquelle elle avait dû mettre un terme.

Bien qu’elle l’accepte, essuyer sans cesse ces réflexions commençait à lui peser sérieusement. Ils ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas que la forcer à rejoindre un groupe revenait à forcer un muet à chanter, un aveugle à voir, un paraplégique à se mouvoir. Elle en était physiquement, psychologiquement incapable. Qu’on lui demande sans cesse de réaliser l’impossible la plaçait face à ses lacunes. Jane ne voulait pas que l’ont croit que son mode de vie n’était qu’une simple lubie, qu’elle faisait fi de la souffrance de ses proches à des fins égoïstes. En revanche, elle frissonnait à l’idée qu’ils puissent découvrir l’ampleur des ténèbres qui se déchainaient en elle. Elle marchait en équilibre sur un fil de soie. Jane fronça les sourcils et releva le menton. « Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu penses que je ne préférerais pas qu’on se la joue tous 7 à la maison au pays des rôdeurs ? Qu’on s’asseye chaque soir autour du feu pour parler du bon vieux temps après avoir passé la journée à exploser des crânes à coups de machette ? »

Jane s’était quelque peu emportée. Elle se sentait complètement en marge de cette nouvelle société. Le monde, son monde s’était arrêté. Elle ne parvenait pas à prétendre qu’il continuait à tourner. Lorsqu’elle voyait les autres rire, discuter de choses futiles, séduire, aimer, elle sentait monter en elle comme une envie de vomir. Ils ne vivaient plus sur la même planète. Jane n’aurait toutefois pas dû élever la voix, ce n’était pas prudent. Par réflexe, elle regarda autour d’elle, guettant la présence de zombies. La rue était déserte, seuls quelques sacs plastiques voltigeaient entre les cadavre de voitures, soulevés par le vent. L’idée de devenir l’un de ces objets ne lui déplaisait pas. Elle ne serait alors qu’une chose légère, virevoltante, immuable, dénuée de toute pensée, de toute émotion, de tout intérêt. Cette pensée la fit sourire intérieurement.

Sa jumelle lui avoua qu’elle se sentait la moitié d’elle-même. Jane n’était pas surprise mais l’entendre de sa bouche lui serra le coeur. Elle ne connaissait que trop bien cette sensation et elle se haïssait de l’imposer à son double. La jeune femme se hissa sur un petit muret jouxtant le mur, veillant à ce que l’on ne puisse pas la surprendre par derrière. Fixant l’asphalte, elle poursuivit d’une voix douce et monocorde. « Ce que tu ressens, je le ressens aussi Ally. Ce n’est pas comme si je contrôlais tout ce qui m’arrive. » Il était rare ces derniers temps que les mots que Jane daignait adresser à sa famille ne soient pas issus d’un minutieux processus d’élaboration. Ses desseins n’étaient pas mauvais mais elle manipulait constamment ses proches et elle en était lasse. Ces dernières paroles, elle les avait prononcées sans réfléchir, presque trop facilement. Jane releva les yeux. Le soleil poursuivait sa descente, s’apprêtant à disparaître sous l’horizon. Avait-elle mis le doigt dans un engrenage ? Elle n’avait pas envie d’y penser.

Alicia grinça des dents quand Jane fit preuve de sarcasme à son encontre. Tactique de défense, tentait-elle de se convaincre, mais n’en demeurait pas moins que ça la blessait profondément de voir que la personne qui la connaissait le mieux sur cette terre lui parle ainsi. Ally ne voulait pas le laisser paraitre, mais c’était trop blessant pour qu’elle le passe sous silence. Peut-être fut-elle trop brusque quand elle répondit à sa sœur, mais c’était plus fort qu’elle-même, il fallait que ça sorte avant qu’elle ne finisse par s’étouffer de rage.

- Parce que tu penses que la vie est une partie de plaisir pour James et moi? Pour les garçons, Mac, sa sœur et son frère?

Contrairement à ce que Jane décrivait, la vie n’était pas la partie de plaisir que sa jumelle semblait s’imaginer. Ils avaient peut-être un toit sur la tête, peut-être mangeaient-ils un peu plus à la faim et que la soif ne faisait pas encore parti de leur quotidien, mais ce n’était pas plus amusant pour eux. Il s’agissait également de survivre une journée de plus et d’arriver à profiter des bons moments que cette vie de dingue pouvait apporter. Jane pouvait en profiter elle aussi, ils n’arrêtaient pas de lui proposer de se joindre à eux. Pour quelques heures, pour quelques jours, voire même pour de bon. Mais c’était elle qui s’acharnait à les repousser! Alors pourquoi Ally avait-elle l’étrange impression que sa sœur essayait de la faire culpabiliser à ce sujet? Mais cette fois-ci, Alicia n’allait pas baisser les bras. Si Jane s’obstinait à vouloir les fuir à tout prix, elle se devait d’expliquer pourquoi elle agissait de la sorte. N’étaient-ils pas en droit de lui demander des explications?

- Si tu veux que je te fiche la paix avec ça, tu me racontes ce qui t’arrive. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’intuition que ça concerne ton fameux Warren. Alors tu parles maintenant ou dès demain matin, je vais retrouver les garçons et je vais les convaincre qu’il est grand temps qu’on t’empêche de nous fuir sans arrêt. Quoique… honnêtement, même si tu parles, juste à te voir, j’ai l’impression que les services de Kaleb vont être requis avant longtemps.

C’était probablement ce qui lui faisait le plus peur dans tout ça. Avoir besoin des talents de Kal, c’était parce que ça n’allait vraiment pas. Et à regarder sa sœur, Alicia ne pouvait pas s’empêcher de penser que bientôt, sa sœur les quitterait pour de bon. Voir mourir l’un des siens, c’était la hantise d’Ally… et l’état de Jane allait forcément la mener dans cette direction si elle ne se décidait pas à se soigner. A laisser sa famille prendre soin d’elle.

- La balle est dans ton camp. Alors, tu décides quoi?

Ally espérait que sa sœur allait, pour une fois, prendre la bonne décision. Ça ne pouvait plus durer. Ils allaient finir par la perdre pour de bon et ça, ça fichait une trouille monstre à Alicia. Voir sa sœur dépérir comme ça sans pouvoir rien faire l’aider à s’en sortir, sans qu’elle n’accepte son aide, ça la tuait à petit feu. Ce qu’elle n’aurait pas donné cette fois-ci pour que les garçons soient présents. Comme pour le faire exprès, ils ne se voyaient jamais tous les quatre, donc ils ne pouvaient jamais être trois sur le cas « Jane ». Ils étaient bien plus forts ensembles que tous séparés. Pour la première fois depuis que ce cauchemar avait commencé, Ally regrettait de ne pas avoir rejoint ses frères avec James. Avant, ils lui manquaient beaucoup, mais elle les savait en sécurité et ça lui suffisait. Mais ce soir, elle aurait bien eu besoin de leur soutien pour convaincre cette tête de mule de Jane d’arrêter de faire des conneries.

Il y avait de l’électricité dans l’air. Les deux soeurs qui n’avaient auparavant besoin que d’un regard pour se comprendre semblaient ne plus parler le même langage. Jane avait l’impression qu’à chaque nouvelle conversation avec sa jumelle, elle trouvait le moyen d’empirer les choses. Peut-être ferait-elle mieux de couper les ponts le temps d'y voir plus clair. Elle soupira discrètement. Bien évidemment que leur vie n’était facile, elle ne l’était pour personne. Chacun encaissait comme il le pouvait. De son côté, elle avait besoin d’être seule pour ce faire. La jeune femme préféra ne pas répliquer afin de ne pas envenimer la situation. Ally insistait pour qu’elle se confie, qu’elle lui explique le pourquoi de ses agissements. Jane hésitait entre le rire et l'exaspération.  Elle aussi aurait aimé qu’on lui explique ce qui lui arrivait. Elle n’était pas psychothérapeute, encore moins omnisciente. Elle disposait certes de quelques éléments, d’hypothèses, de pistes et elle s’adonnait parfois à l’art de la rationalisation mais en fin de course, elle n’y comprenait rien. Elle se contentait de subir.

La jeune femme se figea lorsque sa jumelle prononça le nom de Warren. Ces derniers temps, elle se demandait parfois si cet homme n’était pas le fruit de son imagination morbide, si elle n’avait pas inventé son existence pour donner corps à ses souffrances. Elle sauta du muret et fit quelques pas en avant. Sa soeur parla pendant longtemps mais elle ne l’écoutait absolument plus. Son regard était perdu à l’horizon. L’air s’était rafraîchi et une douce brise caressait à présent son visage. Un dégradé de couleurs flamboyantes déchirait le ciel. La nature avait un sacré sens de l'humour. Parachever ce monde détestable d'une aussi belle oeuvre d'art, n'était-ce pas le comble de l'ironie ? Jane rassembla ses songes. Ally venait de prononcer le nom de Warren. Comment avait-il atterri dans sa bouche ? C'était fort troublant. La jeune femme n'avait toutefois pas le coeur à tergiverser sur la force des liens entre jumelles. Warren existait, Warren était mort. Tout cela était réel. Jane laissa échapper un rire puis murmura : « Warren est mort. »

C’était la première fois qu’elle s’entendait exprimer ces mots à voix haute et elle n’aurait jamais soupçonné qu’ils seraient dotés d’une saveur aussi étrange. Ils semblaient dénués de sens, comme des enveloppes sonores vides qui aussitôt sorties de sa bouche se seraient dispersées dans l’air. La jeune femme se retourna vers sa soeur, s’approcha d’elle puis plongea ses yeux dans les siens. « Warren est mort, je lui ai explosé le crâne avec un marteau. » Elle fronça les sourcils. Etonnamment, elle avait parlé le plus naturellement du monde. Ses paroles étaient exemptes de toute émotion. Ni tristesse, ni colère, ni peine ne vinrent perturber son élocution factuelle et plate. Même la speakerine somnolente du journal de la nuit d’une chaîne locale y aurait mis plus de coeur. La jeune femme ressentit le besoin de rajouter quelques précisions techniques : « Enfin, il s’est fait arracher la carotide et la jugulaire. Je crois que c’est ça qui l’a tué, la première fois. Le bout d’intestin et la mandibule, ça l’a juste un peu amoché mais c’est la carotide qui l’a tué. Il est mort rapidement. Ensuite je lui ai explosé le crâne avec un marteau. Je ne savais pas que le cerveau avait cette couleur. Tu as déjà vu un cerveau, Ally ? »

Jane ne ressentait absolument plus rien et aucune pensée ne la traversait. Son cerveau était comme court-circuité. Probablement tentait-il de la protéger d’une déferlante d’émotions qu’elle ne pourrait pas supporter. Loin de toute préoccupation, elle se contentait de flotter dans du coton. Seuls quelques frissons parcouraient son corps et il lui sembla être prise d’une légère nausée. Elle retourna gentiment s’assoir sur son muret. Cet état second était une bénédiction, quel dommage que toutes les bonnes choses aient une fin.

Ally avait peut-être été abrupte dans sa façon d’aborder sa sœur, mais elle ne savait plus quoi faire, quoi dire. Elle sentait aussi qu’il fallait qu’elle pousse Jane à parler et à se confier. Parce que plus sa jumelle s’enfermait dans le silence, plus difficile ce serait de la faire parler, de l’approcher et s’il y avait une chose qui faisait peur à Alicia c’était bien de perdre Jane, son double. Alors lorsqu’elle se décida enfin à parler, Ally en fut soulagée. Mais ce soulagement fut de très courte durée, car ce que lui raconta sa sœur la fit frissonner. Elle se doutait bien entendu que sa sœur avait dû vivre quelque chose de difficile, d’horrible, mais elle n’aurait jamais cru que c’était à ce point. Maintenant, Ally comprenait pourquoi sa sœur semblait tant fuir sa famille.

- Mais… mais Jane, pourquoi tu ne nous en as pas parlé? demanda doucement Alicia en regardant sa sœur qui tentait de fuir son regard. Tu sais bien qu’on aurait tout fait pour t’aider à surmonter cette épreuve, qu’on ne t’aurait jamais laissée affronter ça toute seule. On est une famille et ça veut aussi dire être là pour les autres même quand ça va moins bien. Nous quatre, c’est à la vie à la mort. Tu l’as oublié?

Parce que non, jamais Ally n’aurait permis que sa sœur ne traverse ce cauchemar toute seule. Personne ne devrait vivre un pareil calvaire. Encore moins seul. Et savoir que sa sœur, la personne dont elle avait sans aucun doute été la plus proche, ait pu avoir à affronter toute cette… merde toute seule dans son coin sans personne proche d’elle, ça la tuait. Littéralement. Alicia craignait chaque jour que James lui soit arraché et remerciait cette force Divine qui le lui ramenait chaque soir dans leur lit. Tout comme elle craignait d’un jour le voir transformé et de devoir lui éviter cette errance. Elle l’aimait et tenait à lui au point de tout faire pour le lui éviter, mais Dieu qu’elle ne souhaitait pas en arriver là un jour. Alors oui, Alicia pouvait être en mesure de comprendre ce qu’avait vécu Jane. Peut-être pas entièrement, mais oui, elle pouvait comprendre.

Ce qu’elle ne comprenait pas cependant, c’était que sa sœur avait choisi de garder tout ça pour elle. Il lui avait fallu lui tirer les vers du nez pour qu’elle consente enfin à se confier. Et Ally était persuadée que les garçons ne savaient rien de toute cette histoire. Ils ne l’auraient pas laissée vagabonder comme ça, toute seule s’ils avaient su à quel point Jane était en mauvais état. N’empêche, sur ce coup-là, Ally s’en voulait terriblement. Si elle avait insisté un peu plus, poussé davantage et plus rapidement, sa sœur ne serait pas si mal en point. Il n’était pas trop tard pour bien faire, mais le temps avait quand même eu largement l’occasion de laisser des traces qui ne s’effaceraient jamais.

- Reste avec James et moi cette nuit. Il dormira sur le canapé de notre chambre. Tu vas voir, ça sera comme au bon vieux temps.

Ally espérait que sa sœur accepte sa proposition, car pour le moment, elle ne voyait vraiment pas ce qu’elle pourrait faire de plus pour garder Jane à ses côtés durant quelques heures. Quelques heures où elle ne serait pas morte d’inquiétude pour une des personnes qu’elle aimait le plus au monde. Quelques heures où – avec de la chance – son horrible cauchemar ne viendrait peut-être pas hanter ses rêves…

Jane regardait la ville sombrer dans l’obscurité. Un écran de fumée masquait toujours ses pensées. Elle se laissait bercer par la brise. Tout était calme, si calme. Elle jeta quelques regards furtifs vers sa soeur qui semblait quelque peu choquée par sa description précise des faits. Elle n’était guère étonnée, qui ne le serait pas ? Elle l’avait été, elle aussi. Toutefois, elle vivait avec ces images dans la tête depuis six mois. Elle avait revécu la scène des centaines, des milliers de fois, si bien qu’elle se souvenait chaque détail. Elle se souvenait de la couleur et du trajet de chaque muscle, de la hauteur du jet de sang qui s’échappait de la carotide, de bruit de la mandibule cédant sous les dents du rôdeur. Elle s’y était habituée, en quelque sorte. Le choc avait muté, était devenu chronique. Ces reviviscences avaient l’habitude malsaine de faire effraction dans son esprit mais parfois, c’était elle qui les y invitait de son plein gré, les décortiquait scène par scène comme pour les apprivoiser. La seule vision qu’elle ne parvenait absolument pas à supporter était celle des yeux sombres de Warren, d’accoutumée si sereins et confiants, alors emplis d’incompréhension, de panique, d’agonie, et s’accrochant aux siens avant d’abandonner. Elle avait soutenu son regard jusqu’au bout, pour qu’il ne parte pas seul. Ces longues secondes, peut-être les pires de sa vie, avaient suffi à graver ce moment en elle pour toujours.

Ally lui demanda pourquoi elle avait gardé ce terrible secret pour elle. Il y avait probablement des dizaines d’explications à son silence, entremêlées les unes aux autres. Jane répondit d’une voix douce, toujours aussi détachée. « Tant que je n’en parlais pas, cela n’était pas réel. »  Elle fronça les sourcils. A vrai dire, elle était circonspecte. Elle avait toujours imaginé ce moment de confession comme une rupture franche. Elle s’attendait à s’effondrer, à être frappée par un raz-de-marée, à sentir sa perte dans tout son corps. Or, il n’en était rien. Tout semblait si semblable. Différent, mais semblable. Etait-ce tout de même le processus de deuil qui s’enclenchait, enfin ? Existait-il plusieurs phases dans le déni ? Etait-elle en plein deuil de la phase de déni de son deuil ? Elle n’en savait rien, elle baignait dans une cotonneuse ignorance. « Je ne suis toujours pas sûre que ça le soit. »

Sa jumelle invoqua leur lien à tous les quatre. Certes, ils s’aimaient d’une force incommensurable. Toutefois, si cet amour avait été suffisant pour apaiser toutes ses souffrances et ses angoisses, elle n’aurait pas fui. Elle ne l’avouait pas avec plaisir mais, durant leur marche vers Houston, elle les avait détestés. Tous les trois. Ally avait James, Kal avait Mac, Raff ne tarderait pas à avoir Amy. Elle n’avait qu’un souvenir sale et avilissant qui venait la hanter quand bon lui semblait. Chaque geste d'affection, chaque regard passionné, chaque mot d'amour lui donnait l'impression qu'on lui versait un bocal d'acide sur une plaie béante. Rien ne peut remplacer le lien spécial entre deux personnes qui se choisissent. Jane soupira. « Je n’ai pas oublié, Ally, mais qu’est-ce que vous auriez pu faire ? La seule chose qui me soulageait était la solitude. » La solitude, l’errance. La morsure de la faim, la brûlure de la soif, la douleur physique, l’angoisse, la peur. L’obligation de vivre dans l’instant présent, de ne pas penser à autre chose qu’à la survie, qu’à l’ici et maintenant.

Ally lui proposa de rester auprès d’elle ce soir là. Jane n’avait guère le choix : la nuit tombait, elle était au milieu d’une zone infestée de rôdeurs et elle n’était pas certaine de disposer de toutes ses capacités. Si ce fichu coton était capable de dresser un mur entre sa conscience et ses pensées, il avait probablement également le pouvoir d’anesthésier ses sens, de réduire ses réflexes à néant. A vrai dire, ces excuses l'arrangeait. Sa soeur lui manquait terriblement. Jane désigna l’hôtel du menton. « Si les autres sont d’accord, je resterais jusqu’à l’aube. » La jeune femme posa son sac sur ses genoux, l’ouvrit, puis en sortit une bouteille de vieux Whisky ramassée sous un bureau, probablement celui d’un énième employé alcoolique. Elle la trimballait depuis deux semaines maintenant, dans l’espoir de la troquer contre de la nourriture ou quelques minutions. Le cours de l’alcool suivant la propagation du désespoir, c’était une bonne monnaie d’échange ces temps-ci. « Dis-leur que j’ai ramené le dessert. »

Tant qu’elle n’en parlait pas, ce n’était pas réel? Jusqu’à un certain point, Alicia pouvait comprendre cette façon de voir les choses. Elle avait eu la « chance » de ne pas avoir à mettre un terme à la vie d’un être cher et elle remerciait le ciel tous les soirs pour ça. Si elle avait été à la place de Jane, probablement qu’elle en aurait fait autant. Ne pas y penser, ça rendrait les choses moins tangibles. N’était-ce pas Scarlett O’Hara qui disait : « Je ne veux pas y penser maintenant, je réfléchirai à ça demain. »? Ça ne faisait pas disparaitre le problème, mais sur le coup, ça pouvait toujours sembler comme… logique. Après tout, ne pas y penser, c’était s’éviter de souffrir, alors oui, ç’avait un certain sens. Surtout quand on venait de perdre un être cher. Et pire, quand on venait de l’abattre. Quand Jane lui demanda ce qu’ils auraient pu faire, Ally dû bien admettre qu’elle n’en savait strictement rien. Elle n’était pas assez bête pour croire que sa seule présence aurait pu apaiser sa jumelle, mais elle aurait quand même souhaité être là pour elle. La réconforter si elle en avait eu besoin, n’importe quoi. Juste être à ses côtés. Parfois, juste le fait de ne pas être seul, ça pouvait faire du bien. Si Jane n’avait pas voulu parler, Alicia ne l’aurait jamais forcée, mais au moins, elle n’aurait pas eu à vivre ce drame toute seule.

- On aurait rien pu faire, mais au moins, tu n’aurais pas été toute seule, Jane. Tu n’avais pas à affronter ça toute seule, voilà tout.

Le soulagement d’Ally fut peut-être visible pour sa sœur, mais elle l’était. Soulagée de savoir que pour cette nuit-là, elle n’aurait pas à s’inquiéter pour Jane. Elle serait à ses côtés durant quelques heures et c’était tout ce qu’Alicia souhaitait. Quand Jane sortit une bouteille de Whisky de son sac en disant qu’elle avait apporté le dessert, Ally fronça les sourcils. Elle pouvait comprendre que sa jumelle voulait compenser pour qu’elle obtiendrait, mais avec de l’alcool? C’était un bien précieux de nos jours et Ally ne voulait pas que sa sœur gaspille un bien qui serait de grande valeur dans un échange futur.

- Range ça, voyons! souffla Ally en jetant un rapide coup d’œil autour, histoire de s’assurer que personne n’avait vu la bouteille. C’est hors de question, tu ne vas pas leur donner ça. Garde-le pour toi, ça pourra toujours t’être utile pour négocier quelque chose avec eux plus tard.

Si les autres pouvaient être assez voraces pour l’empêcher de garder Jane avec elle pour la nuit, alors Ally allait faire une sacrée crise. Ils l’entendraient hurler depuis l’hôpital. Il y avait longtemps qu’elle avait mis les choses au clair. Si c’était pour les autres, elle était prête à négocier avec les membres de sa famille, mais si c’était elle qui offrait quelque chose, il était totalement hors de question de les faire payer. Elle avait offert à Jane de rester dormir? Bah si elle mangeait quelque chose et que les autres étaient prêts à le faire payer, ils n’auraient qu’à le prendre sur la part d’Ally, elle n’en avait rien à fouttre. Jamais elle ne permettrait qu’on l’empêche de venir en aide aux siens.

- Tu sais, rien ne t’oblige à partir à l’aube. Tu peux rester aussi longtemps que tu le voudras, je me charge de les convaincre de nous ficher la paix. tenta doucement Ally, se doutant bien que ça ne servirait peut-être à rien. Tout le monde ici est plutôt sympathique. Il n’y a que deux hommes que je te conseille d’éviter comme la peste. Je te montrerai lesquels. Ne reste jamais seule avec eux, je ne leur fais pas confiance. En fait, reste toujours près de James, de Matt ou de Nikolaï si tu peux. Avec eux, tu ne risqueras rien.

Non, Alicia n’avait jamais fait confiance à ces deux types. Ils lui faisaient tout l’effet d’hommes prêts à s’imposer auprès des femmes, voire même des enfants. Ally s’était rapidement rendue compte que ces deux-là n’étaient pas dignes de confiance, aussi préférait-elle prévenir sa sœur tout de suite avant de risquer de l’oublier, habituée qu’elle était à éviter de rester seule avec eux. Par-contre, elle ferait confiance les yeux fermés à Matthew et Nikolaï. Quant à James, ça allait – évidemment – de soi.

Jane dissimula un léger rictus. Elle n’avait pas envie de partager cette pensée avec sa jumelle mais être seule n’avait pas été une obligation. Elle ne vivait pas sa solitude comme une difficulté supplémentaire, au contraire. Elle considérait sa situation comme une solution de facilité. Elle aimait sa famille plus que tout au monde mais rester à leurs côtés trop longtemps lui était pénible voire insupportable. C’était horrible à dire. La jeune femme voyait mal comment elle pourrait un jour laisser ces mots franchir le seuil de ses lèvres, elle aurait été profondément blessée si elle les avait entendus de la bouche de Raffael ou de Kaleb, et encore davantage de celle d’Ally. Une part d’elle-même, celle qui n’avait pas encore renoncé, persistait à croire que le temps estomperait ses angoisses et sa peine, qu’elle parviendrait un jour à se libérer des chaînes qui la condamnaient à cette existence solitaire. L’idée de se la jouer 7 à la maison au pays des rôdeurs ne lui déplaisait pas tant que ça après tout. Elle les imaginait tous les quatre autour d’un feu de camp, à faire griller des écureuils en se racontant des histoires. Son visage s'éclaira d'un léger sourire.

Ally l’incita à ranger la bouteille de whisky. Elle s’exécuta en opinant du chef. « Tu as raison, cette petite merveille mérite d’être gardée pour une grande occasion. Quand Raff aura enfin mis le grappin sur Amy par exemple ! » La jeune femme éprouvait néanmoins un léger pincement au coeur, elle n’aurait pas dit non à un petit verre de ce délicat spiritueux. Jane ne buvait pas lorsqu’elle était seule, c’était une question de sécurité. Or, les occasions de partager un petit apéritif avec quelqu’un étant plutôt rares dans sa nouvelle vie, cela faisait des mois qu’elle n’avait pas bu une goutte d’alcool. A l’époque, s’octroyer un verre de vin sur sa terrasse au coucher du soleil était son petit rituel, sa manière d’évacuer les tensions de la journée. Elle devait avouer que cette habitude lui manquait. Jane garda cette pensée pour elle, elle ne voulait pas que sa soeur s’imagine qu’elle était devenue alcoolique par dessus le marché.

Sa jumelle lui proposa de rester davantage qu’une seule nuit. Jane se mordit la lèvre inférieure. Elle savait que ce moment arriverait, il arrivait toujours. Que ce soit par espoir ou par acquis de conscience, probablement les deux, ses frères et sa soeur tentaient toujours leur chance, comme s’ils lançaient un hameçon à l’aveugle dans une mer agitée. Jane partirait à l’aube, elle ne pouvait pas se permettre de s’éterniser davantage. Elle ne voulait pas faire naître de faux espoirs, que ce soit dans l’esprit de sa soeur ou dans le sien. Par ailleurs, son caractère s’était tellement endurci ces derniers temps qu’elle savait qu’elle aurait du mal à faire profil bas dans un groupe aussi rigide. Ces deux hommes dont Ally parlait, elle finirait forcément par se les mettre à dos, ce qui retomberait inévitablement sur sa jumelle. Jane fronça les sourcils. « Ces deux types … vous devriez les obliger à se tenir à carreau ou leur demander de dégager. Ils ont peut être des grandes gueules mais ils sont en infériorité numérique. » La jeune femme n’aimait pas l’idée que sa soeur côtoie des individus toxiques. Au sein de ce clan, elle n’était pas à l’abri d’un coup bas ou d’une trahison. A vrai dire, la jeune femme aurait préféré qu’Ally et James rejoignent le groupe de ses frères dont l’éthique était bien plus acceptable et le climat plus sain. Bien évidemment, ce serait totalement hypocrite et malvenu de la part de Jane de critiquer ouvertement le choix de sa soeur.

La jeune femme n’avait pas encore refusé la proposition de sa jumelle. Décliner l’aide de ses proches était toujours une épreuve. Elle espérait toutefois qu’Ally comprendrait mieux à la lumière de ses dernières révélations. Jane laissa son regard fuir au loin dans la pénombre. « Tu sais bien que je ne peux pas. J’ai encore besoin de temps, seule. » Oui, elle avait encore besoin de temps, de temps loin de la réalité. Oui, elle avait encore besoin d’être seule, d’être seule pour se jeter chaque jour dans l’arène qu’était devenue cette terre et combattre, survivre comme un animal, seul moyen efficace de distraire son esprit tout en évitant le jugement de ses proches. Oui, elle avait encore besoin de baigner dans le confort malsain du déni.

Garder la bouteille pour quand Raffael et Amy seraient enfin ensembles? Voilà qui était une très bonne idée. Ça voulait également dire qu’Ally serait forcément amenée à revoir Jane bientôt. Du moins, l’espérait-elle sincèrement. Quant à Raffael et Amy, si Ally se fiait aux dires de Kaleb, ce n’était plus qu’une toute petite question de temps. Il fallait qu’un de ces deux-là se décident à dégeler. Par moment, c’était à se demander s’ils n’étaient pas revenus à l’ère glaciaire! Cependant, c’était une bonne idée de lever un verre en famille quand Raffael et Amy seraient enfin ensembles. Après des années à tourner autour de la jeune femme, son grand frère était bien dû pour un peu de bonheur lui aussi. Alicia ne manqua cependant pas le petit regard déçu de sa jumelle aussi eut-elle une idée. James avait troqué une bouteille de vin contre une balade en métro dernièrement et il l’avait gardée pour l’ouvrir au bon moment. Ce soir c’était le bon moment pour boire un verre. Et puis Ally n’était pas sans se rappeler que sa sœur aimait bien le vin avant. Avant cette fichue débâcle.

- James et moi, on a autre chose dans notre chambre. On attendait une occasion spéciale pour l’ouvrir et tu me l’offres ce soir. Un bon petit verre de rouge, ça te dit?

Faire marcher les deux hurluberlus au pas ou leur dire de quitter les lieux? Ally ne demandait que ça, la seconde option plus que la première, mais ce n’était pas à elle de décider. Les chefs, c’étaient Anastasia et Nikolaï, c’était à eux que revenait la tâche de décider qui pouvait ou non espérer rejoindre leurs rangs. Même si James et elle avaient fini par avoir beaucoup d’influence sur les chefs, Alicia ne voulait pas en user trop souvent. Parce qu’elle savait qu’un jour ou l’autre, elle voudrait accueillir quelqu’un dans le groupe et à ce moment-là, elle voudrait avoir toutes ses chances de son côté, histoire qu’on ne lui refuse pas sa demande. C’était pour Jane qu’Ally économisait ses privilèges. Le jour où sa sœur en aurait marre d’être toute seule, Alicia serait en mesure de lui faire intégrer le groupe. En supposant qu’elle veuille se joindre à eux, évidemment. Mais la jeune femme ne confia pas ses pensées à sa sœur et se contenta de hausser les épaules. Sa sœur n’étant pas prête à arrêter de vagabonder, Ally s’abstint de tout commentaire.

Elle ne fut pas capable de s’empêcher d’avoir un sourire triste quand Jane refusa de rester plus longtemps parmi eux. La nuit et c’était tout. Très bien, Alicia essayerait de s’en contenter en se disant que pour cette nuit-là, elle n’aurait pas à s’inquiéter pour son double, elle l’aurait à ses côtés. Pour la première fois depuis… Depuis quand d’ailleurs? Ça faisait tellement longtemps qu’Ally avait tout simplement oublié.

- Allons rejoindre mon homme! On a de quoi à célébrer, nous!

Alicia tenta de mettre un peu d’entrain dans sa voix, mais elle sut en voyant le regard de Jane que ce n’était pas réussi. Elle haussa les épaules à nouveau, glissa son bras sous celui de sa jumelle et l’entraîna avec elle. Une bonne bouteille de rouge les attendait et Ally n’allait pas laisser la séparation à venir l’empêcher d’en profiter.