Réunion de famille - Pv Birmingham :)

La pénombre s’était emparée de la ville, une pénombre particulière, presque lumineuse mais pauvre en saturation colorée dans le même temps, laissant à l’oeil comme une impression de triste clair obscur. Les bâtiments, les arbres, les rôdeurs au loin, tout semblait grisâtre, presque irréel. Jane poussa la porte d’un café désaffecté. Les lieux étaient étonnamment propres, aucune éclat de céramique ne parsemait le sol, les chaises étaient rangées sous les tables et l’on pouvait presque encore sentir l’odeur des muffins à la myrtille d’autrefois. Soudain, la scène s’anima. Les couleurs se ravivèrent aussitôt. Les murs jaune , les chaises taupe, les tasses vertes. Un air de jazz se mit à retentir en arrière plan. La jeune femme eut à peine le temps de froncer les sourcils qu’une voix féminine se mit à hurler : « Visez la tête ! » avant d’éclater d’un rire diabolique. Le visage de Warren surgit devant le sien. Jane fixait ses yeux lorsqu’il vint lui massacrer la boîte crânienne avec un marteau. La jeune femme regarda son cerveau dégouliner jusqu’au sol.

Jane se réveilla, étouffant un cri d’horreur. Elle plissa immédiatement les yeux, éblouie par les rayons de soleil perçants de ce début d’après-midi. Elle mit quelques secondes à comprendre ce qui venait de se passer. Epuisée, elle n’avait pas pu résister aux griffes du sommeil et s’était endormie au milieu des cartons de la réserve de la station service dans laquelle elle s’était rendue afin de trouver de la nourriture. Elle se mit immédiatement à paniquer, se redressant d’un bond sur ses deux jambes. Elle n’aurait pas du s’endormir, les lieux n’étaient pas sûrs. Jane jeta un coup d’oeil à sa montre. Une demi-heure, elle s’était assoupie une demi-heure. Un frisson la parcourut, elle aurait eu le temps de mourir une centaine de fois.

La jeune femme se sentait mal à l’aise. Elle souffrait de quelques courbatures, de céphalées et elle frissonnait malgré la canicule environnante. Kaleb avait été un bon professeur, Jane pensa immédiatement à une éventuelle infection. Quelques jours auparavant, elle s’était ouvert la main droite en traversant des barbelés et elle craignait une septicémie à point de départ cutané. La jeune femme s’empressa de défaire le bandage de fortune qu’elle s’était confectionné et elle regarda la plaie. Cette dernière aurait certes nécessité deux ou trois points de suture mais elle ne semblait pas purulente ni inflammatoire. Elle tenta de palper son aire ganglionnaire axillaire droite qui semblait libre. Jane était perplexe. Son état fébrile était probablement dû à une infection quelconque et non à sa blessure mais elle n’était pas totalement rassurée. Il fallait qu’elle mette la main sur des antibiotiques.

Jane écuma des dizaines de pharmacies sans parvenir à mettre la main sur ce qu’elle recherchait. Les antibiotiques étaient peut-être le médicament le plus précieux ici-bas, en trouver à sept mois du début des événements était mission impossible.  Le soleil commençait à se coucher sur la ville et la jeune femme sentait que son état n’allait pas en s’améliorant. A cours d’idées et de forces, elle prit la lourde décision de se rendre à l’hôpital. Mourir d’un choc septique en toute connaissance de cause alors que son propre frère est médecin était totalement stupide.

La dernière réunion de famille avec ses frères lui restait toutefois encore en travers de la gorge. Il y avait eu énormément d’émotions, puis ce dernier zombie. Jane voulait le tuer. Elle avait pété un câble, mais elle voulait réellement le tuer en touchant le cerveau à travers l’oeil. Ses frères l’avaient interprété autrement. Elle avait promis d’essayer de rester vingt-quatre heures avec eux. Elle avait donc essayé, essayé de toutes ses forces mais après un bref repas et quelques heures de sommeil agité, elle avait fui. Au milieu de la nuit, sans laisser de trace. La jeune femme arriva sans encombre devant l’enceinte de l’hôpital. Elle prit une grande inspiration et se dirigea vers les quelques hommes qui patrouillaient à l’extérieur. Cette fin de journée s’annonçait compliquée.

Il quitta son atelier, il avait travaillé à ses armes tout l’avant-midi, il méritait une petite pause. En sortant dans le couloir, il croisa Ayana et lui ébouriffa les cheveux en passant souriant à l’adolescente. Il avait envie de respirer, il savait qui était de garde dehors et il avait envie d’aller voir comment ça se passait. Il se dirigea donc vers la sortie. À peine était-il sorti de la bâtisse qu’il repéra Jane qui arrivait. Sa petite sœur était de retour. Elle avait promis d’essayer de rester vingt-quatre heures avec eux, mais elle avait fuit quelques heures plus tard la dernière fois. Il n’avait sans aucun doute pas aidé à la cause. Il avait été dur avec sa cadette ce jour-là. Il le regrettait. Surtout qu’il avait perdu les pédales à un tel point qu’il avait failli les faire tuer tous les trois en criant sur Jane. Il l’avait ensuite porté sur son dos, comme lorsqu’ils étaient jeunes, il avait couru aussi vite qu’il avait pu pour mettre la jeune femme en sécurité, laissant son frère derrière.

Il avait détesté laisser son aîné derrière lui, mais il avait merdé en hurlant ainsi. Il ne pouvait se rattraper qu’en écoutant les ordres données par Kaleb. Il regarda la jeune femme venir vers l’entrée, elle ne semblait pas très bien. Il alla à sa rencontre. Plus il avançait, plus son impression se confirmait. Jane était plus pâle que d’habitude, ses lèvres étaient presque blanches, elle semblait en sueur. D’accord, il ne faisait jamais très froid, mais il ne faisait pas encore assez chaud pour qu’elle soit dans cet état, à moins d’avoir dû courir. Une fois près de la jeune femme, il se pencha et déposa un baiser sur son front. Si c’était d’abord une marque d’affection, c’était aussi un truc utile que l’on utilisait avec les bébés surtout pour savoir s’ils étaient fiévreux. Les lèvres étaient une partie sensible du corps et meilleur indicateur que la main. Jane était brulante.

-Bonjour beauté.

Cette fois, il fit à sa tête cependant. Il ne dit pas un seul mot et souleva la jeune femme dans ses bras. Elle était faible, probablement malade, il avait envie de la porter et il le fit. Il la calla confortablement contre lui et la fit entrer dans l’hôpital. Il l’amena dans la salle d’examen. Cette dernière était vide, mais il savait que son frère ne devait pas être trop loin. Ally était là elle aussi. Elle était venue avec James. Il ne le fit pas savoir à Jane. Il l’installa sur le lit que Kaleb utilisait pour ses examens. Il allait lui donner de l’eau lorsqu’il pensa que Kaleb aurait peut-être besoin qu’elle n’ait rien dans l’estomac. Alors il se ravisa.

-Je vais chercher Kal.

Se fût tout ce qu’il lui dit. La dernière fois il avait assez parlé, il en avait trop dit même. C’était probablement ce qui avait causé sa fuite. Il avait peut-être tord, mais il croyait bien avoir raison. Il avait revécu cette conversation tant de fois dans sa tête et chaque fois, il avait une furieuse envie de se taper la tête contre le mur pour effacer la presque totalité de ses paroles. Il se rendit dans leur cafétéria sur ses joyeuses pensées, il trouva Ally, James, Kaleb et Mac tous assis autour d’une table. Il s’arrêta près d’eux.

-Jane est là. Elle ne va pas bien, elle ne semble pas blessée, mais elle est fiévreuse.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus pour que Kal et Ally se lèvent d’un même mouvement.

Alicia était dans la cafétéria de l’hôpital et était en grande discussion avec Mackenzie, Kaleb et James lorsque Raffael était venu les retrouver. Jane était à l’hôpital et elle semblait mal en point. Sans dire un mot, le frère et la sœur s’étaient levés et avaient quitté la cafétéria à la suite de Raffael. James et elle étaient venus à l’hôpital tout de suite après qu’il le lui ait suggéré. Alicia avait eu besoin de parler à ses frères à propos de leur sœur. Elle ne s’imaginait cependant pas qu’elle tomberait sur elle par hasard! Hasard… c’était peut-être un peu fort, parce que de toute évidence, Jane n’était pas là parce qu’elle voulait rendre visite à la famille.

Jane qui était venue à l’hôpital de son plein gré afin de se faire soigner? Ça voulait donc dire qu’elle n’était vraiment pas dans son assiette. Ally n’était pas vraiment d’un naturel inquiet, mais depuis quelques mois, c’était plus fort qu’elle. Elle s’en faisait constamment pour sa famille. En particulier pour Jane qui continuait à vagabonder en ville plutôt que de se joindre à l’un des deux clans dans lesquels elle avait des alliés tous trouvés. Sa propre famille. Alors qu’est-ce qui avait pu arriver à sa sœur pour qu’elle se sente obligée de débarquer ainsi à l’hôpital? Que lui était-il arrivé depuis la dernière fois où elles s’étaient vues, quelques jours plus tôt. Non, ça faisait davantage une semaine. Depuis, Ally n’avait pas eu de nouvelles de Jane.

Ne disait-on pas « pas de nouvelles, bonne nouvelle »? Ouais, c’était ça. Mais Ally aurait bien de petites nouvelles à donner à l’imbécile qui avait dit ça. C’était faux. Archi faux. Quand elle n’avait pas de nouvelles de sa sœur, ça ne voulait pas dire que tout allait comme sur des roulettes! La preuve? Elle était à l’hôpital et ça, ils savaient tous que c’était parce qu’elle avait jugé qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Alicia aimait sa sœur plus que tout, mais par moment ce n’était pas l’envie de l’enfermer quelque part qui lui manquait. L’enfermer pour son bien, histoire qu’elle reprenne pied… mais Ally savait qu’elle ne serait jamais capable d’infliger une chose pareille à sa jumelle. L’envie était là, mais elle ne le ferait jamais. Pas par manque d’envie cependant.

Arrivés devant la salle d’examens de Kaleb, Ally laissa ses frères passer en premier et les suivit à l’intérieur avant de refermer la porte derrière elle. Sa sœur était allongée sur le lit, elle était pâle et semblait transpirer à grosses gouttes. Ce n’était pas dû à la chaleur, elle était visiblement malade. La petite entêtée avait attendu de ne plus en pouvoir pour venir chercher de l’aide. Ally soupira et alla s’installer sur le tabouret au chevet de sa sœur. De la main, elle dégagea le front de sa jumelle et lui lissa les cheveux. Elle était brûlante.

- Tu as encore fait la fête toute la nuit sans nous inviter? la gronda doucement Alicia avec un petit sourire triste. Tu sais bien qu’on est toujours partants pour faire la fête en famille. Surtout quand on a de quoi fêter. Imagine-toi donc que Raffael s’est enfin décidé à arrêter de jouer au timide et à parler à Amy. On a une toute nouvelle belle-sœur, c’est pas génial?

Elle bavassait sans but précis. En fait, elle essayait de dire n’importe quoi le temps que Kaleb se lave les mains avant de commencer à ausculter leur sœur.

On pouvait dire que les jours se suivaient et ne se ressemblaient pas. Alicia était venue les voir avec James, ils étaient à discuter tranquillement Mac et lui avec eux. Raffael était entré dans la pièce et tout avait changé. Premièrement, Kaleb avait compris juste en voyant la posture de Raff qu’il se passait quelque chose. Il tentait de garder le contrôle, même dans ses mouvements. C’était comme s’il s’empêchait de courir. Puis, il avait annoncé d’une voix très calme que Jane était là et qu’elle n’allait pas bien. L’esprit pratique, il avait cru bon d’ajouter que leur sœur ne semblait pas blesser, mais qu’elle était fiévreuse. D’accord, Kaleb se leva comme Ally se levait aussi. Tous les trois prirent la direction de la salle d’examen. Lorsqu’il entra, il vit Jane étendu sur le lit dont il se servait pour faire les examens. Il lui offrit un sourire, il était heureux de la voir et il ne voulait pas lui indiquer qu’il était inquiet. Il se dirigea vers l’évier pour se laver les mains. L’hygiène était encore de mise pour lui et si sa sœur avait une infection quelconque, il valait mieux ne pas en ajouter.

Il écouta Alicia dire que Jane avait fait la fête sans eux et que ce n’était pas bien. Elle en profita pour dire qu’ils avaient quelque chose à fêter puisque Raffael s’était décidé à parler à Amy et qu’ils avaient une nouvelle belle-sœur. Il eut un sourire. Si Jane n’avait pas été dans un mauvais état, ont aurait pu croire qu’ils se retrouvaient à l’un de leur souper en fratrie. Seulement les quatre, à discuter de tout et de rien. Ils aimaient faire ce genre de chose avant que les zombies n’arrivent. C’était un beau souvenir. Il revient vers le lit et regarda sa sœur. À première vu, elle n’avait de grosse blessure évidente, il prit un des vieux thermomètres qu’il avait trouvé. Un thermomètre qu’il pouvait désinfecter et réutiliser. Ce n’était pas l’idéal, mais comme il faisait en sorte de nettoyer tous ses instruments lui-même, il savait que c’était bien fait.

-Ouvre la bouche ma belle, on va voir ce qui se passe.

Il fit glisser le thermomètre sous la langue de sa sœur, pendant que ce dernier faisait son travail, il prit doucement le bras de Jane et il regarda sa montre. Le pouls était légèrement plus rapide que la normale, la peau était moite, il regarda les yeux de sa sœur, ses lèvres étaient sèches. Elle souffrait d’une légère déshydratation. Il prit le thermomètre, quarante degrés Celsius. C’était beaucoup, un de plus et Jane serait en plein délire.

-Je veux le répertoire de toutes tes blessures sans exception, décris-moi aussi tous tes symptômes. Je veux aussi savoir à quand remonte ton dernier repas et ce que tu as pu boire dans les derniers vingt-quatre heures.

Son air n’avait plus rien de joyeux, il avait revêtu le masque du docteur. La température de sa sœur était élevée mais avant de lui donner une quelconque médication, il devait tenter de savoir ce qui causait cette fièvre.

Jane vit la silhouette de Raffael se dessiner au loin. Anxieuse, elle se tordait les mains en le regardant approcher. Elle craignait l’accueil qu’il allait lui réserver. La jeune femme culpabilisait de la manière dont elle s’était comportée après l’épisode du parking. Elle aurait pu leur laisser un message avant de fuir comme une voleuse. Lorsqu’il la salua avec davantage de douceur que d’agressivité, la jeune femme esquissa un sourire et étouffa un soupir de soulagement. Elle allait lui rendre son bonjour lorsqu’elle vit son regard se rembrunir. Avait-il compris qu’elle était souffrante ? La jeune femme fronça les sourcils. Raffael était un fin observateur, il avait toujours été doué pour deviner. Il avait eu de l’entrainement avec sa petite soeur. Jane avait toujours eu tendance à cacher ses blessures, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Enfant, elle pouvait rester des heures voire des jours avec un genou ouvert avant qu’on ne s’en aperçoive. La jeune femme n’avait par ailleurs aucune idée de son apparence actuelle, peut-être que son état se lisait tout simplement sur son visage.

Soudain, Raff la souleva pour la porter dans ses bras. Jane lui tapa doucement sur le bras tout en protestant, du moins pendant quelques secondes : « Raaaaaaff ! Raff je peux marcher ! Je te jure que je peux marcher ! Je … Bon, ok, c’est parti. » Elle savait qu’il était inutile de négocier. Elle se laissa transporter jusqu’au lit de la salle d’examen puis regarda son frère disparaître derrière le seuil de la porte. Elle s’étendit et laissa ses paupières se fermer quelques secondes afin de prendre les forces dont elle aurait nécessairement besoin pour affronter la probable discussion qui s’annonçait avec ses frères. Peu après, le bruit des pas s’approchant dans le couloir lui fit ouvrir les yeux. Elle était en train de saluer son aîné lorsqu'elle vit la silhouette de sa jumelle se dessiner derrière lui. « Ally ? » Ses yeux grand ouverts traduisaient son étonnement tandis que sa soeur s'installait à ses côtés. Elle était heureuse de la voir mais gérer trois Birmingham n’allait pas être une tâche aisée. Jane sourit aux tentatives d’humour de sa soeur, en partie pour la rassurer. Elle savait qu'elle était inquiète. Soudain, Ally lui fit une révélation tonitruante : ils avaient une nouvelle belle-soeur. Il était temps. La jeune femme attendait ce jour depuis le mariage de Kaleb et Mackenzie. Jane se redressa légèrement, s’appuyant sur ses paumes et lança un sourire malicieux au cadet de la fratrie. « Vraiment ? Enfin !! Félicitations champion ! » Elle était sincèrement heureuse pour lui. Pendant quelques secondes, elle parvint même à ne pas penser à sa propre solitude.

Kaleb qui était resté silencieux jusque là rentra en scène, endossant son rôle de médecin. Il commença par prendre ses constantes puis débuta son interrogatoire. La jeune femme peinait à distinguer s’il était inquiet ou tout simplement concentré. Jane lança un petit regard contrarié en direction d’Ally et Raffael. Dresser la liste exhaustive de toutes ses défaillances physiques devant ses frères et sa soeur représentait un calvaire pour la jeune femme. Elle commença par le plus facile. « J’ai bu un demi litre d’eau et j’ai mangé une conserve de petits pois avec trois crackers au fromage. Digne d’un trois étoiles. » Jane mettait de l’énergie dans son intonation dans le but de montrer à sa famille que son état général n’était pas si altéré. Elle fronça les sourcils avant de poursuivre. « J’ai mal à la tête, quelques courbatures, mal à la gorge, je commence à avoir envie de tousser… je dois avoir la grippe, c’est rien, dans quelques jours tout ira bien. Je ne pourrais pas courir un marathon mais sérieusement, je ne me sens pas si mal que ça. » dit-elle en se redressant, s’asseyant en travers sur le lit, les jambes croisées en tailleur. Jane marqua une petite pause. Jamais ils n’iraient croire qu’elle avait frappé à la porte de l’hôpital pour une simple grippe. Elle était venue dans un but précis, il fallait maintenant cracher le morceau. Jane posa sa main droite en supination sur son genou et défit son bandage, dissimulant pendant le geste une petite grimace.

La jeune femme laissa apparaître une plaie de trois centimètres, traversant sa paume d’un trajet oblique. Elle n’était pas purulente mais les deux berges étaient distantes d’environ deux millimètres ce qui en faisant une porte d’entrée de choix pour les staphylocoques, streptocoques et autres joyeusetés. Le pourtour était propre et non induré.  La jeune femme releva les yeux vers Kaleb. « Je me suis un peu blessée il y a trois jours. Ce n’est pas infecté, enfin je ne pense pas et je fais mon pansement aussi souvent que possible mais … il fait chaud et je me sers toujours de ma main donc je me suis dit que ce serait mieux de prendre des antibiotiques, en prophylaxie. Le temps que ça se referme un peu. Mieux vaut prévenir que guérir, hein ? » Elle dessina un sourire sur ses lèvres, censé convaincre sa famille que malgré ces quelques désagrément, elle allait bien.

Il avait suffit son frère et sa sœur de près. Il était hors de question qu’il attende dehors, pas même pendant que Kal examinerait Jane. Il se retournerait s’il avait besoin de la faire déshabiller, mais il était hors de question qu’il la laisse partir encore une fois et elle ne se sauverait pas avant d’être complètement rétablit. Il l’attacherait s’il le fallait, mais il ne la laisserait pas partir. Ally parla de la fête que Jane avait dû se faire sans eux et qu’ils avaient quelque chose à fêter. Il faillit lever les yeux au ciel lorsqu’elle expliqua à Jane qu’il s’était enfin décidé à parler à Amy et qu’elles avaient une nouvelle belle-sœur. Jane en ajouta en le félicitant, le gratifiant d’un « champion ». Il haussa les épaules.

-Je ne vois pas en quoi ça me vaut d’être un champion, quand on aime quelqu’un c’est ce que l’on fait, on lui parle. Peu importe le temps que ça prend.

Il avait parlé sur un ton égal. Était-ce un message qu’il lui lançait? Peut-être que oui, peut-être que non. Son commentaire l’avait fait sentir bizarre. La dernière fois elle disait à quel point elle se sentait un monstre et sans le droit d’être heureuse et là elle le félicitait, semblait même contente pour lui. Il aurait pu se fendre la tête à essayer de comprendre sa sœur. Il eut un soupire et croisa les bras sur la poitrine pendant que Jane tentait de faire de l’humour en disant ce qu’elle avait mangé, bu et décrivant ses symptômes. Elle banalisait le tout, pour lui s’était sérieux et juste à voir la tête que Kaleb faisait, lui aussi trouvait la situation plus que sérieuse. Elle les gavait de sourire pour faire croire que tout allait bien. Elle pouvait souffrir de tétanos, même lui qui n’était pas médecin savait ça. Pourquoi était-elle si inconsciente? Elle aurait dû venir ici tout de suite après s’être blessée. Il secoua la tête.

-Cette fois tu restes jusqu’à ce que tu sois guéri, si tu te sauves Jane, je te préviens, je te ramène par la peau des fesses dans la plus grande humiliation et je t’attache.

Il était plus que sérieux, rien dans sa posture ou son ton ne laissait présager qu’il pouvait blaguer. Il avait dit qu’il ne l’aiderait plus, mais il ne pouvait pas le faire. Il ne pouvait pas la laisser mourir à petit feu sans rien dire, rien faire. Il ne laisserait pas Kaleb la laisser partir comme elle. Non. Pour une fois c’était lui qui prenait le contrôle de la situation. Il en avait marre d’être une marionnette juste bonne à faire ce qu’on lui disait de faire. Il en avait marre de regarder sa petite sœur dépérir.

-Je n’en ai rien à faire de ta fierté ou que tu penses aller bien. Cette fois, on fait à ma façon que ça te plaise ou non Jane.  Quitte à mourir pour te ramener. Tu es prévenue.

Il chercherait dans ton la ville jusqu’à son dernier souffle s’il le fallait, mais il n’allait certainement pas la laisser repartir. Non, c’était impensable et cette fois il était plus que sérieux. Elle devait rester, elle devait se soigner et il allait y voir. Kaleb lui ferait savoir quand Jane serait rétablie et elle ne partirait pas avant.

-Si tu veux continuer seule ensuite, je te laisserai faire. Mais Kaleb sera celui qui décide de quand tu es rétablit, personne d’autre.

Il ressemblait à un roc, solide, si dur et sans émotion. Mais en vérité, un combat déchirant se menait en lui. Un combat entre laisser sa sœur faire à sa tête et l’envie si forte de la protéger. Non, il ne pouvait pas encore la laisser partir. C’était impensable. Pas cette fois. Quand elle irait bien d’accord, mais là non. Elle pouvait sourire tant qu’elle le voulait, il ne croirait jamais qu’elle allait bien. Jamais. Il avait avaler beaucoup de ses bobards pour les rassurer, mais pas cette fois.

Ally avait écouté ses frères et sa sœur en silence. Il y avait, de toute évidence, quelque chose qu’elle ne savait pas, quelque chose qu’on ne lui avait pas racontée. Elle sentait comme une sorte d’électricité dans l’air, une certaine tension qui émanait de Raffael. Ouais bah ne pas être avec le reste de la tribu Birmingham c’était un sacré handicap! Alicia ignorait ce qui se passait, Raff campait sur ses positions, Jane faisait comme si sa blessure n’avait rien de bien inquiétant… Et Kaleb était égal à lui-même, il jouait au médecin. C’était tout de-même étrange qu’il n’essaie pas de calmer les esprits échauffés, c’était lui d’habitude qui jouait à l’arbitre. En réalité, il était le plus posé de la famille et c’était donc vers lui qu’on se tournait pour calmer le jeu. Ally lui jeta quand même un coup d’œil qui voulait dire « mais t’attends quoi pour le calmer? », mais son frère semblait trop occupé à faire ce qu’il faisait alors Alicia cru qu’il ne l’avait pas vue.

- Sur ce coup-là, je suis d’accord avec Raff, il faut que tu restes jusqu’à ce que tu sois rétablie, mais… quelqu’un peut m’expliquer pourquoi Raff joue au Général en chef de l’armée Birmingham?

La tension était palpable et généralement une bonne engueulade et tout était terminé. Il ne fallait pas être devin pour comprendre que Raffael reprochait quelque chose à Jane – Ally avait cru comprendre qu’elle s’était tirée, en catimini probablement – et il n’hésiterait pas à mettre ses menaces à exécution. Son frère, homme de peu de mots, venait de leur tenir un sacré discours en menaçant Jane de la ramener par le peau des fesses s’il le fallait. Ce n’était tellement pas dans le style de Raff qu’Ally les regarda tous chacun leur tour.

- Vous préférez que je fasse sortir Raff en le tirant par l’oreille ou on reste ici à se chamailler comme quand on était gamins?

Ce n’était pas à elle de prendre la décision, mais elle était d’avis qu’il serait peut-être plus facile pour Kaleb d’examiner Jane si elle n’était pas occupée à se disputer avec Raffael. Après, si les deux autres approuvaient, il lui faudrait trouver un moyen de tirer l’oreille de son frère beaucoup plus grand qu’elle. Dans le pire des cas, elle réquisitionnerait les services de James, tiens!

- Mais sans blague maintenant, qu’est-ce qui se passe? C’est quoi cette histoire que personne ne m’a racontée? Pas que je veuille me plaindre, mais là je me sens laissée de côté. J’aimerais bien me disputer avec vous, moi aussi.

C’était plus fort qu’elle, Alicia devait toujours essayer de faire le clown pour calmer les autres. Ça ne marchait peut-être pas très souvent, mais elle s’efforçait toujours de calmer le jeu. Moins bien que Kaleb, mais on ne pourrait jamais dire qu’elle n’essayait pas. De plus loin dont elle se souvenait, Ally n’avait jamais aimé les disputes. Peu importe le sujet dont il était question. Elle n’aimait pas quand une discussion se terminait en engueulade et que plus personne ne voulait se parler. Si perdre sa famille était sa hantise, les voir se séparer pour une dispute totalement stupide la tuerait littéralement.

Elle avait cependant hâte de connaitre toute l’histoire. Ally n’était pas sans savoir que le comportement de Jane les inquiétait tous. Après la conversation que les deux sœurs avaient eue, Alicia pouvait – plus ou moins – comprendre pourquoi sa sœur agissait de la sorte. Mais même si elle y mettait tout son cœur, elle n’y arrivait pas complètement. Parce que de son côté Ally savait que s’il arrivait quelque chose à James, c’était vers ses frères et Jane qu’elle se tournerait. Elle ne pourrait pas rester toute seule, elle aurait besoin des personnes qu’elle aimait le plus au monde pour surmonter cette perte. Voilà ce qu’elle avait du mal à comprendre. Sa sœur préférait les fuir comme la peste plutôt que de rester près d’eux. Même si elle voulait vraiment comprendre, Ally n’y parvenait pas vraiment.

-Le sortir en lui tirant l’oreille hein? J’avoue que j’adorais voir ça Ally.

Ce fût le seul commentaire qu’il fit à se sujet. Pour le moment, il y avait plus important, beaucoup plus important à faire que de gérer une crise de Raff ou les inquiétudes d’Alicia. Il prit note mentalement de ce que sa sœur avait bu et manger. Peu de protéine dans tout ça. Il occulta la jeune femme avec son stéthoscope. Écartant un peu l’encolure de son t-shirt, il entra l’appareil à l’intérieur pour écouter les battements du cœur de sa sœur. Ils étaient rapides, mais rien de surprenant puisque Raffael venait de faire une nouvelle démonstration « d’amour » à sa sœur. Il se déplaça pour aller à vers l’arrière de Jane. Sans dire un mot, il la fit se redresser et glissa le stéthoscope sous son vêtement remontant jusqu’aux poumons.

-Inspire profondément.

Jane s’exécuta. Il fronça les sourcils.

-Expire maintenant.

Elle s’exécuta à nouveau. La plaie était belle, mais il devrait lui faire des points, pour ça il devrait rouvrir complètement la plaie car de petites chairs s’étaient reformées. Pourquoi n’était-elle pas venue le voir plutôt? Elle se serait évitée tellement de douleur inutile. Il prit le tabouret apposé contre le mur et s’installa près de sa sœur à l’opposé de Raffael et Alicia.

-Tout d’abord, la prochaine fois que tu te fais une plaie pareille, tu n’attends pas. Par ta faute, tu vas sérieusement déguster petite sœur. Je vais devoir rouvrir entièrement la plaie, la nettoyer et la recoudre proprement. Je ne peux pas t’administrer d’analgésique ou t’endormir. Nous n’en disposons plus de beaucoup, nous les gardons donc pour ceux qui ont besoin d’être opéré.

Même pour sa sœur, il ne pouvait déroger à ça. C’était une décision de groupe, ils serraient tous les dents lorsqu’ils avaient à subir des points ou se faire replacer un membre. La douleur était parfois intolérable pour certains. Un homme avait même demandé à Raffael de l’assommer. Ce dernier avait refusé, mais au final il avait dû le faire car il s’apprêtait à agressé physiquement Kaleb parce que la douleur le rendrait fou. Il soupira.

-Je vais aussi devoir te faire passer une radio des poumons. Ce ne sera pas simple. Je ne crois pas que tu es un simple rhume Jane. Il se pourrait que ce soit une pneumonie. Peut-être que c’est l’anémie dû au manque de fer et de protéine qui te donne ses symptômes, mais je ne prendrai aucune chance.

Il leva ensuite les yeux vers son frère et son autre sœur. Il n’était pas d’accord avec la rudesse qu’il avait employée, mais il était d’accord sur le fond. Son frère avait raison, elle ne pouvait pas repartir ainsi.

-Général, vous avez un bon point et je dois me ranger à vos côtés pour cette décision. Cette fois, c’est grave et il est hors de question que je te laisse partir sans que tu ne sois complètement rétablie.

Il avait regardé Jane en disant la dernière phrase. Il ne pouvait plus faire semblant lui non plus, en fait, il n’avait jamais fait semblant. Elle savait à quel point il était inquiet, mais elle ne pouvait pas lui demander de subir ça, elle ne pouvait pas lui demander de lui donner sa bénédiction d’aller courir seule dans les rues alors qu’elle était malade. Il regarda Alicia qui attendait toujours des explications à la tension qui régnait.

-Mon hypothèse est simple Alicia. Raffael à ouvert son cœur à Amy et par la même occasion, il s’est rendu compte à quel point il souffrirait de la perdre tout comme il souffrirait de perdre Jane. Il a retenu ses inquiétudes tellement longtemps, qu’elles l’ont submergés à notre dernière rencontre avec Jane. Depuis, la digue est ouverte. Je te dirais que tu n’as pas vu le pire pour le moment.

Il se leva, il devait préparer ce dont il avait besoin pour travailler. Il n’avait plus d’infirmière pour voir à tout ça, il le faisait par lui-même comme à l’armée.

-J’aimerais te voir sortir Raff par l’oreille Ally, mais je vais avoir besoin de lui pour immobiliser Jane. La douleur intense peut faire avoir des sursauts néfastes à une aussi délicate pratique que les points. On ne voudrait pas que notre Jane se retrouve avec une cicatrice mal faite ou qu’elle ou moi soyons blessé parce que tu auras sorti notre seul homme assez grand et fort pour la maintenir.

Il regarda Ally avec un petit sourire et regarda Raffael. L’homme savait que Kal avait besoin de lui. Le médecin le vit juste à la posture qu’il avait adoptée. Son frère était un militaire, il n’avait pas perdu ses habitudes. Kal ne lui avait pas donné d’ordre, mais Raff avait un rôle ici et c’était devenu comme un rôle à l’armée. Il ne savait pas si ses sœurs l’avaient remarqué, mais Raffael s’était redressé comme si un supérieur c’était adressé à lui.

Raffael eut à peine le temps de prononcer quelques mots que le visage de la jeune femme se décomposa. Lorsqu’il l’avait chaleureusement saluée à l’entrée de l’hôpital, Jane avait eu la naïveté de croire qu’ils allaient se parler, se sourire, plaisanter ensemble comme si de rien n’était. Elle tombait de haut et se sentait dans le même temps incroyablement stupide. Il y avait eu des paroles, des regards, des actes. Tout cela avait laissé des traces indélébiles, rien ne serait plus jamais comme avant. Le ton de son frère se durcit. Il utilisait des mots d’une violence inédite. Jane ne l’avait jamais vu s’adresser à quiconque ainsi, elle en était réellement choquée. Elle savait que le comportement explosif et autoritaire de Raffael était nourri par l’amour et non la haine mais elle ne pouvait s’empêcher de recevoir l’intensité de sa réaction comme une gifle glaciale en pleine face. Elle en était totalement pétrifiée. En outre, elle culpabilisait d’avoir pu mettre son frère dans de tels états. Jane détourna le regard, se mordant avec avidité l’intérieur de la joue.

La jeune femme avait l’impression de suffoquer, comme si quelqu’un tentait de l’étouffer sous un oreiller. Elle ne supportait pas qu’on porte atteinte à sa liberté, qu’on la contraigne par la force. Si ses jambes avaient pu la porter hors de l’enceinte de l’hôpital sans qu’elles ne faillissent, elle n’aurait pas hésité une seconde à prendre la poudre d'escampette. Ses frères étaient peut-être forts mais elle était rapide, en temps normal du moins. Ce soir-là, la fièvre la rendait totalement impuissante, dépendante de la laxité que ses frères et sa soeur daigneraient lui accorder. Elle n’avait que sa bouche et ses yeux pour protester. Une intense détresse se lisait dans son regard, semblable à celui d'un animal pris au piège, qu’elle dirigeait vers celui de sa jumelle. Jane savait qu’Ally comprenait, du moins partiellement, ce qu’elle ressentait à l’instant présent. Ce n’était pas un hasard si elle tentait d’apaiser la situation à grand renfort de plaisanteries qui ne parvinrent pas à lui décrocher un sourire. Sa soeur demanda ensuite des explications concernant la tension qui régnait au sein de la fratrie. Jane était trop bouleversée pour répondre quoi que ce soit, par ailleurs elle savait qu’il ne valait mieux pas qu’elle parle pendant que Kaleb l’auscultait. Elle préféra laisser l’un de ses frères s’en charger.

Son aîné lui énonça ensuite les détails de sa prise en charge. Il allait devoir la charcuter à vif. Un léger frisson parcourut l’échine de la jeune femme, elle avait toujours été très sensible à la douleur. Depuis son plus jeune âge, elle avait appris à encaisser. Les Birmingham n’étaient pas des chochottes. Elle serrerait les dents comme elle en avait l’habitude, croisant les doigts pour ne pas perdre connaissance. Jane posa sa main sur le bras de Kaleb et esquissa un sourire, ce moment n’allait probablement pas être beaucoup plus agréable pour lui que pour elle. Elle n’avait pas envie qu’il culpabilise de lui infliger cette agonie, d'autant plus qu'il avait dans ses placards de quoi lui rendre ce geste bien moins pénible. « T’inquiète, je comprends. Je peux le supporter. De toute façon je l’ai mérité, j’avais qu’à faire plus attention. »

Quant à la suspicion de pneumonie, la jeune femme n'en avait que faire. Elle était trop occupée à redouter l'intervention qui l'attendait. De même, elle n'avait pas répliqué lorsque ses deux frères et sa soeur s'étaient tour à tour catégoriquement opposés à son départ avant son rétablissement complet. Elle trouverait bien le moyen de retourner la situation en temps voulu, une fois la séance de torture derrière elle. Une idée ne tarda pas à germer dans son esprit, ce n'était qu'une alternative de fortune mais elle devrait s'en contenter. Jane attrapa son sac et le posa sur ses jambes tout en lançant un regard à sa jumelle, un léger sourire en coin. « Si j’avais su que ce serait ça la fameuse grande occasion, je n’aurais pas fait preuve d’une telle impatience. »

Elle attrapa sa bouteille de whisky, l’ouvrit et s’enfila plusieurs abondantes gorgées en grimaçant. Jane regarda ensuite le liquide ambré d’un air triste. Une part enfouie d’elle-même aurait vraiment espéré qu’ils la partageraient ensemble, dans la joie et les rires. Le destin venait une nouvelle fois lui rappeler que, définitivement, elle semblait ne plus avoir droit au bonheur. Elle haussa les épaules et tendit la bouteille à Kaleb. « T’as qu’à utiliser le reste pour désinfecter, ça t’évitera de puiser dans votre pharmacie. Le Général ne semble pas avoir le coeur à la fête de toute façon… » Jane lança un regard en coin au cadet qui se tenait droit comme un i, comme si chaque muscle de son corps était contracté. Elle n’avait pas voulu être aussi sarcastique, cela lui avait échappé. L’appréhension la rendait nerveuse, probablement. La jeune femme laissa son sac tomber doucement au sol et étendit les jambes sur le lit, espérant que son taux d’alcoolémie grimpe le plus rapidement possible. Si on lui avait dit dans son ancienne vie qu’un jour elle se damnerait pour ne plus tenir la boisson, Jane aurait probablement éclaté d’un rire sans pareil. L’univers n’avait pas fini de la surprendre, décidément.

Il resta silencieux après sa sortie émotive. Mais qu’est-ce qui lui prenait ces temps-ci? Il avait presque l’air d’une fille qui avait ses règles. Il se décevait grandement. Il écouta son frère et regrettait que sa petite sœur ait à subir tout ça. Alicia avait eu envie de savoir ce qui se passait, il n’avait pas ouvert la bouche. Il n’en avait pas envie. Il regarda Jane boire l’alcool qu’elle avait sorti de son sac. Non, il n’avait pas envie de faire la fête, ils pouvaient bien tous lui donner du « Général », il s’en fichait. Il aimait sa sœur, il ne voulait que du bien pour elle et il détestait la voir ainsi. Kaleb avait peut-être raison, la présence d’Amy dans sa vie lui faisait voir la situation de façon plus émotive. Si c’était ça être amoureux, il était d’accord. Mais il ne voulait pas non plus blessé Jane. Ce n’était pas son envie, ce qu’il voulait s’était prendre soin d’elle et qu’elle le laisse faire pour une fois.

Kaleb indiqua qu’il aurait besoin de ses services pour maintenir Jane. Comme si son frère lui avait donné un ordre et qu’il était son supérieur à l’armée, Raff s’était mit au garde à vous. Il surprit l’air de Jane en le voyant ainsi, elle sembla mal interpréter sa raideur. Il l’avait secoué, c’était évident. Pendant que Kaleb préparait ses instruments, il s’approcha du lit de la jeune femme. Il fit en sorte que Jane s’avance un peu sur le lit. Il s’installa derrière elle, les jambes de chaque côté. Il était assez grand pour ça. Il passa ses bras autour de sa petite sœur et l’attira à lui. Il fit en sorte qu’elle appuie sa tête sur lui, son corps contre le sien. Il passa son bras en dessous de celui de la jeune femme. Le bras de Jane s’appuyait sur celui de Raffael et il stabilisa le poignet de la jeune femme dans sa main.

Il appuya son menton sur l’épaule de la jeune femme. Peut-être essayait-il simplement de se faire pardonner. Il devait l’immobiliser, il n’avait pas le choix. Ce ne serait pas confortable comme position. En fait, surtout pour lui, la jeune femme elle serait appuyée sur lui, elle ne devrait pas être trop mal. La douleur serait surtout dans sa main. C’était une position plutôt intime, mais ce n’était pas la première, ni la dernière fois qu’il aurait à le faire. Un homme avait faillit tuer son frère alors que ce dernier lui faisait des points, une femme elle, avait déchiré la plaie que Kal était en train de recoudre. Ils ne prenaient plus de chance, Raffael faisait en sorte d’immobilisé les patients. Il eut un soupire, chuchota à l’oreille de sa sœur.

-Peu importe ce que je dis Jane, je t’aime. Ne l’oublie jamais.

Il eut un petit sourire.

-Je veux juste que tu sois bien.

Il avait parlé doucement, son ton était calme. Il en aurait pour un moment à être près d’elle, il fallait qu’elle soit détendue. Ce n’était pas le temps de lui causer du stresse supplémentaire. De plus, c’était vrai. Il l’aimait de tout son cœur et il voulait son bien. Seulement son bien. Il espérait qu’elle le comprendrait.

Et on repartait pour un tour! Sauf que cette fois, Mr Pacifique était celui qui remontait les brettelles à Jane. Elle était en piteux état alors ça se comprenait… mais franchement! Ses frères pouvaient-ils la pousser à se sentir encore plus coupable? C’était nécessaire que ça tourne au vinaigre? Parce qu’à en croire les explications de Kaleb, la dernière rencontre entre Jane et Raffael n’avait pas été de tout repos. Raff le taciturne devait avoir piqué sa crise. Quand il se décidait enfin à l’ouvrir, ça finissait comme ça. Il prenait toujours sur lui et quand il explosait, bah… il disait tout ce qui lui passait par la tête. Ce n’était jamais joli joli à voir et Alicia n’avait pas besoin qu’on lui donne des détails pour comprendre que la dernière explosion avait laissé des traces.

- Avoir su que se retrouver tous les quatre ça signifiait qu’il fallait sortir les gants de boxe, je n’aurais pas laissé James me convaincre de venir jusqu’ici. souffla Ally en croisant les bras sur sa poitrine.

Parce que oui, maintenant Ally le regrettait vraiment. Elle voulait voir sa famille, passer du temps avec eux et voilà ce qu’elle récoltait. Ils se prenaient la tête et plutôt que de profiter du peu de temps qu’ils auraient à passer ensembles, il fallait que ça tourne au vinaigre. C’était à se demander ce qu’elle fichait là. Finalement, elle avait quand même la réponse à ses questions. Si Jane prenait soin de les éviter c’était parce qu’elle passait son temps à se faire disputer. A sa place, finalement peut-être qu’Alicia en aurait fait autant.

- C’est les parents qui doivent se retourner dans leurs tombes s’ils vous voient toujours en train de vous crêper le chignon. se décida à dire la jeune femme. Dire qu’ils n’ont toujours désiré qu’une chose : qu’on ne passe pas notre temps à se disputer. Sérieusement, vous ne pensez pas qu’on devrait en profiter pour passer du bon temps quand on est ensembles plutôt que de se bouffer le nez?

Elle avait envie d’ajouter que Kal était celui qui désamorçait les situations tendues et qu’il restait là sans réagir. Ce n’était pas lui. Mais Jane n’était pas mieux, elle faisait exprès de faire bêtise sur bêtise, de les garder à distance. Pas étonnant que Raff aie décidé de péter les plombs. Ça faisait six mois qu’ils étaient séparés et qu’ils s’inquiétaient sans cesse pour Jane. C’était usant. Ally avait peine à fermer les yeux parce qu’elle faisait un cauchemar récurent. Dire qu’elle avait été assez bête pour croire que ça lui ferait du bien de venir voir sa famille. Quelle bêtise.

Alicia avait envie de vomir. Les conflits, elle détestait ça. Mais elle détestait encore plus ce qui était en train de se passer sous ses yeux. C’est-à-dire de voir son frère entrain de charcuter leur sœur. La vue du sang lui avait toujours fait horreur, ce n’était un secret pour personne. Et lui donnait toujours envie de tourner de l’œil. C’était à se demander comment Ally pouvait faire pour ne justement pas tomber dans les pommes quand elle voyait des rôdeurs. Peut-être que c’était juste l’instinct de survie qui parlait? Aussi quand Raffael pris place derrière Jane et que Kaleb sortit ses instruments de torture, la jeune femme leur tourna le dos.

- Jane soit tu décides d’arrêter de nous fuir et toi Raff de contrôler tes nerfs ou toi Kal de faire le chef de famille… ou moi je fous le camp. Je n’ai plus la force de supporter ça, de m’inquiéter pour tout le monde parce que j’ignore ce que vous devenez. Enfin, ce que tu deviens, Jane.

Pendant qu’elle parlait, Ally s’était rapprochée de la porte de la salle d’examens. Elle observait les affiches sur le mur, histoire de ne pas voir ce que faisait Kaleb à la main de Jane. Il y aurait du sang et ça ne la tentait pas particulièrement. Par-contre, s’ils décidaient de continuer à se prendre la tête sans arrêt, si Jane se mettait en tête d’encore les fuir, Alicia baisserait les bras. Elle était au bout du rouleau. Ça ne pouvait plus continuer comme ça.



HJ: Je m'excuse si ç'a été aussi long! Petit problème d’alignement de mots! J'espère que ça ne sera pas trop mauvais!

Kaleb écouta tout ce qui se passait, Jane qui venait de boire, Raffael qui s’était installé pour maintenir Jane et lui parla dans le creux de l’oreille. Il semblait s’être un peu détendu, mais finalement c’est Ally qui péta un plomb. Elle parlait de leurs parents qui devaient se retourner dans leur tombe. Il dû avouer que ce commentaire plus celui où il devait arrêter de faire le chef de famille le blessait grandement. Il ne voulait pas se bagarrer. Il ne voulait pas non plus voir Jane souffrir et Raffael non plus d’ailleurs. Alicia ne le comprenait pas ainsi. Elle avait le droit. Mais de là à les accuser de faire honte à leurs parents, elle y allait un peu fort. Il garda tout même un ton calme et neutre lorsqu’il lui répondit.

-Papa m’a dit que j’étais l’homme de la maison, celui qui devait prendre soin de mes cadets. Il me la répété Ally, tellement de fois, même sur son lit de mort. Alors non, je ne crois pas lui faire honte en faisant mon « chef de famille », car c’est ce qu’il m’a demandé.

Ses outils étaient prêt, il apporta l’équipement près de sa petite sœur et s’installa. Raffael avait posé son bras sous celui de Jane, très bien, il stabilisait. Il continua toujours sur un ton calme et neutre, mais cette fois, il regarda Jane.

-Nous ne sommes pas des pugilistes. Peut-être qu’Alicia comprend mieux ce que tu ressens et c’est pour cette raison qu’elle croit que nous voulons nous battre chaque fois que l’on se voit, ce qui n’est pas le cas d’ailleurs. Tu ne peux pas nous reprocher de ne pas comprendre Jane non?

Il se retourna vers Alicia qui regardait le mur.

-Vous ne pouvez pas nous reprocher de vous aimez. Ally, nous savons qu’avec James tu es en sécurité, on ne veut que la sécurité de Jane aussi.

Il regarda Jane à nouveau. Il était toujours calme, il n’avait pas envie de crier. Il n’avait pas envie de revivre ce qui s’était passé la dernière fois.

-Tu as toujours été pleine de vie, de te voir la mort dans l’âme ne peut que nous tuer à petit feu Raffael et moi. Si Ally comprend, tant mieux pour elle, nous, ça nous rends fous.

Il haussa les épaules.

-Mais s’il le faut, je ne t’en parlerai plus. S’il le faut, je ferai en sorte que Raffael ne t’en parle plus non plus. Sache seulement que l’on t’aime. Que l’on vous aime toutes les deux.

Il prit une petite ceinture de cuire et la tendit vers la main libre de Jane.

-Maintenant, tu devrais mordre là-dedans. Je te jure qu’elle est propre et stérilisé par mes soins.

Il prit son scalpel.

-Prête?

Il avait dit ce qu’il avait à dire, maintenant, le médecin reprenait le dessus sur le frère et il allait faire son boulot et bien le faire. Il était prêt à ouvrir la plaie et la nettoyer et la recoudre. Sa pauvre sœur allait souffrir grandement, il le savait, mais pour éviter l’infection c’était la seule solution. Il ne redit pas qu’il voulait qu’elle reste jusqu’à sa guérison complète. Non. Ça ne servait à rien. S’ils l’obligeaient, elle allait partir juste parce qu’elle se sentirait emprisonnée. Ce n’était pas ce qu’il voulait. Il voulait qu’elle reste d’elle-même, qu’elle les laisse prendre soin d’elle et qu’elle soit bien avec eux.

Jane avait peur, viscéralement peur. En l’espace de quelques secondes, cette sensation qui lui tordait l’estomac, lui soulevait le thorax, saccadait sa respiration l’avait envahie toute entière. Aucun rôdeur n’avait réussi l’exploit de la mettre dans un tel état, aucun depuis Warren du moins. Les enjeux étaient différents. Elle était terrifiée à l’idée de souffrir, certes, mais surtout à celle de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir le contrôle de la situation. La jeune femme tremblait contre son frère qui était en train de s’installer derrière elle. Elle jetait des regards furtifs à l’aîné qui préparait consciencieusement son matériel, contractant les muscles de son bras droit, comme si elle luttait déjà contre la main de Raffael.

La jeune femme fut profondément soulagée lorsque son frère lui murmura à l’oreille qu’il l’aimait, d’une voix douce et vraisemblablement dénuée de toute rancoeur. Elle esquissa un léger sourire et lui caressa un instant l’épaule de sa main libre, sans toutefois se retourner. Elle savait qu’elle aurait besoin de son soutien total et inconditionnel pour surmonter cette épreuve. Le sien, tout particulièrement. Raffael était le seul apte à pouvoir efficacement l’aider. En effet, Kaleb devait focaliser toute sa concentration sur ses gestes techniques. Quant à Ally … Ally était son double, elle ne saurait pas prendre suffisamment de distance. Elle allait ressentir chaque coup de scalpel, chaque mouvement de curette, chaque incursion d’aiguille, chaque noeud de vicryl dans sa propre chair. Elle allait également devoir se concentrer pour gérer sa douleur. Jane aurait préféré que sa soeur n’assiste pas à cette scène mais elle ne lui fit pas l’affront de lui demander de sortir. La jeune femme tourna le visage vers Raffael et plongea dans ses yeux un regard clair, sincère, presque vulnérable tandis que les muscles de son membre supérieur droit se relâchaient doucement. La carapace épaisse et rigide qu’elle portait habituellement semblait s’être fissurée. Elle tentait de lui faire comprendre que, l’espace de quelques minutes du moins, elle ne résisterait pas. Elle ne s’entêterait pas à vouloir se battre seule. Jane acceptait son aide et plus encore, elle la demandait. Telle était sa volonté.

Ce fut soudain au tour d’Ally d’exploser. Elle aussi avait pris sur elle depuis longtemps, elle était en droit de péter les plombs. Jane se sentait terriblement coupable des conséquences de son comportement. Elle était à la source de toutes leurs récentes disputes, elle était la nitroglycérine qui risquait de faire exploser leur si parfaite cellule familiale à tout moment. Sa soeur lui porta le coup de grâce en évoquant ses feus parents. La jeune femme était trop bouleversée pour intervenir. Elle avait l’impression d’être en pleine chute libre dans un puit sans fond. Elle laissa sa jumelle puis Kaleb s’exprimer. Elle se sentait responsable des propos d’Ally, responsable de l’impact qu’ils venaient d’avoir sur son frère. Un frisson glacé la parcourut lorsque ce dernier s’adressa à elle. Comment pouvait-il croire qu’elle leur reprochait quoi que ce soit ? S'il y avait bien un sentiment qu'elle ne ressentait pas à leur égard, c'était la rancoeur. Jane attrapa la sangle en cuir que Kaleb lui tendait mais son esprit était ailleurs. Elle regardait sa soeur qui lui tournait le dos, la gorge nouée.

Lorsque son frère lui demanda si elle était prête, elle se redressa d’un coup. « Attends. » Jane se libéra des bras de Raffael et sauta du lit pour se précipiter vers sa jumelle. Elle prit ses mains dans les siennes et releva les yeux. « Ma belle, tu ne peux pas en vouloir aux garçons pour ce que j’ai semé. Je sais que c’est ma faute, je sais que je suis la seule responsable de tout ça mais… j’essaye Ally, j’essaye. » Jane avait du mal à s’exprimer. Chaque mot qui franchissait le seul de ses lèvres était revêtu d’une extrême intensité. Elle plongea son regard encore plus profondément dans celui de sa soeur. « Tu sais mieux que quiconque à quel point c’est dur pour moi. » La jeune femme faisait bien évidemment allusion à la confession qu’elle lui avait faite quelques jours plus tôt. Aborder le sujet la déchirait à chaque fois de l’intérieur et sa voix avait d’ailleurs légèrement tressailli en prononçant ces mots. Ally lui reprochait de ne cesser de fuir, Jane avait pourtant fait un énorme pas vers elle en se confiant ainsi. Aucun d'entre eux ne semblait reconnaître le combat acharné qu’elle menait quotidiennement contre les forces obscures qui l’attiraient vers les ténèbres, ni les quelques progrès, probablement trop discrets à leurs yeux mais existants, qu’elle avait réalisé ces derniers temps. Elle lâcha les mains de sa soeur et se retourna vers ses frères  « Il n'y a pas si longtemps, jamais je ne serais venue voir Kal pour aussi peu. Jamais. J’essaye. » Jane disait vrai. Si son frère apprenait un jour le nombre et la nature des blessures dont elle s’était occupée seule, il serait probablement fou de rage. Pourtant, ce jour-là, à l’issue d’une intense lutte interne, elle avait accepté d’aller chercher de l’aide et personne ne semblait s’attarder sur la petite victoire que cela représentait. La jeune femme était tellement abattue par la tristesse que sa peur s’était envolée. Elle s’installa à nouveau sur le lit, posa son bras sur celui de Raffael et donna son signal à Kaleb d’un ton monocorde et laconique. « Prête. »

Il avait vu un sourire naître sur les lèvres de sa sœur lorsqu’elle l’avait entendu lui dire qu’il l’aimait. Il n’était pas du genre expressif pour les sentiments. Il explosait parfois, en fait, depuis les zombies. Avant, il n’était pas du genre à faire ce qu’il avait fait la dernière fois et là, ce qu’il venait de faire. Ce n’était pas lui d’agir ainsi. Il était du genre à passer à l’action pas à hurler comme un demeuré. Jane lui caressa l’épaule sans se retourner au début, mais le fil de ses pensées, semblait avoir suivi un drôle de chemin. Elle se tourna vers lui et le regarda dans les yeux. Il sentit sa sœur se détendre pendant qu’elle le fixait du regard. C’était elle, c’était sa Jane ça. Celle qui comptait sur lui pour l’aider à passer au travers, qui lui faisait confiance. Oui, l’espace d’un instant elle était là. C’est à ce moment qu’Ally se fâcha à son tour, impliquant leurs parents décédés dans la discussion. Il ne savait pas trop si elle avait demandé à Kaleb de jouer son rôle de chef de famille, ou l’avait accusé de ne pas le faire. Mais Kaleb comprit qu’elle l’accusait de ne pas le faire.

Il écouta son frère dire que son père lui avait demandé d’assumer le rôle et qu’il ne se sentait pas honteux de le faire. Kaleb gardait un calme froid, Raffael comprenait qu’il venait d’endosser à nouveau le rôle de leur père et il comprenait aussi que les propos d’Alicia l’avait blessé profondément. Lorsque Jane sauta à bas du lit, il la laissa faire, il avait senti le frisson qui avait parcouru la jeune femme alors que Kaleb s’adressait à elle. Étrangement, il savait qu’elle n’allait pas quitter la pièce. Kaleb lui avait demandé si elle était prête et elle lui avait demandé d’attendre, il savait qu’elle ne partait pas cette fois. Et il avait eu raison, elle était allée vers sa sœur, les jumelles, les voir réunit lui serrait le cœur.

Il écouta les propos de Jane pour sa sœur, il écouta ce qu’elle avait à leur dire. Elle essayait. Il baissa les yeux un instant. Lorsqu’il releva la tête, Jane s’installait à nouveau, replaçait son bras sur le sien pour qu’ils reprennent la position de maintient. Elle annonça ensuite à Kaleb qu’elle était prête. Le ton de Jane avait changé, sa Jane avait disparu. Mais elle avait été là, il l’avait vu dans ses yeux. Elle revenait peu à peu, il le savait maintenant. Il stabilisa le bras de sa sœur à nouveau et déposa un baiser sur sa joue. C’était sa petite sœur, il l’aimait. Il aimait Alicia aussi, Kaleb avait toujours été son modèle, son idole. Il regarda chaque membre de sa famille un à un avant de ramener son attention vers Jane. Lorsqu’il parla son ton était calme, serein même.

-Je vais essayer aussi Jane.

Il tourna son regard vers Ally et dit un peu plus fort.

-Promis.

Une promesse d’appel au calme, une promesse d’essayer de mieux comprendre l’état d’esprit de Jane et de lui laisser plus d’espace. Il lui en avait laissé beaucoup en fait depuis le début, la corde s’était raccourci ces derniers temps et il allait essayer de la relâcher à nouveau. Elle était là en ce moment, elle avait été là pendant un moment, il voulait qu’elle revienne. Il avait usé de douceur et son regard avait changé, il allait continuer dans cette voie plutôt que celle qu’il avait emprunté la dernière fois. Elle s’était braquée contre lui et avait fui durant la nuit. Cette fois, il n’allait pas faire la même erreur. Non. Il avait compris maintenant.

-Quand Kaleb aura terminé, tu devrais venir voir les progrès d’Ayana en lecture. Ta nièce d’adoption est impressionnante.

Alicia avait demandé un retour au calme, Jane avait besoin de lui, il allait se montrer à la hauteur. Alors que Kaleb commençait le boulot, lui tentait d’amener Jane à se concentrer ailleurs que sur sa douleur. Ayana était une bonne source de distraction. Jane ne la connaissait pas beaucoup, mais elle était devenue un membre de la famille au cours des derniers mois, elle était comme la fille de Mac et Kal, donc leur nièce. C’était une enfant géniale et il savait que Jane, si elle la connaissait un peu mieux l’apprécierait. Elles étaient des battantes toutes les deux, en fait, toutes les trois car Alicia aussi était une battante. Ces derniers temps, les sujets de conversations tournaient plus autour de Jane. Alicia était en sécurité auprès de James, peut-être oubliait-il un peu trop Ally. Il regarda vers la jeune femme.

-Alicia, papa et maman seraient fière de toi tu sais.

Il aurait pu continuer en disant que c’était important qu’elle le sache puisqu’elle les avait mentionnés. Il aurait pu lui dire qu’ils avaient toujours été fières d’eux et qu’il croyait que malgré leurs cafouillages dans cette histoire inimaginable, il était sur ou plutôt non, qu’il savait qu’ils seraient fières d’eux tous. La situation les avaient tous fait changer, les avaient tous confronté à des horreurs qu’aucun conte de peur n’aurait pu prévoir. Ils faisaient tous de leur mieux et autant leur père que leur mère le savait. Il aurait pu lui dire tout ça. Mais ce n’était pas nécessaire. Alicia avait besoin que l’on pense à elle dans cette histoire aussi, elle ne l’avait pas facile avec Jane. Elle perdait son double, la moitié d’elle-même chaque fois que Jane partait. Il aurait dû y penser un peu plus avant d’exploser un peu plus tôt. Ils auraient évité tout ça, aurait éviter tout le mal qu’elle avait ressenti.

Évidemment, il fallait que Kaleb comprenne de travers ce qu’elle venait de dire. Jamais Alicia n’avait eu l’intention de lui reprocher de faire ce que leur père lui avait demandé. Jamais. Au contraire, ce qu’Ally voulait c’était que son frère mette un terme aux disputes de Jane et Raffael. Il était le seul que ces deux-là daigneraient écouter. Elle aurait pu le reprendre, lui expliquer qu’il l’avait mal comprise, mais elle n’en fit rien. Ça ne servait à rien sinon qu’à gaspiller sa salive. De toute manière, peu importe ce qu’elle pourrait dire, ça ne changerait rien. Kaleb voudrait peut-être croire qu’elle cherchait à se faire pardonner ou à amoindrir ce qu’elle avait dit alors qu’il l’avait juste mal comprise. Comment est-ce que les choses avaient pu tourner ainsi? Où s’était-elle plantée? A tous les coups, ils allaient penser qu’elle était jalouse de l’attention qu’ils accordaient à Jane. N’importe quoi. Elle n’était pas jalouse, mais elle se sentait… délaissée. Oui, c’était ça. Alicia se sentait mise à l’écart. Bien sûr, avec Jane qui faisait des siennes, à quelque part, c’était normal qu’ils s’en fassent tous pour elle, mais… Plus elle s’entendait réfléchir, plus Ally avait la ferme impression que les autres allaient dire qu’elle était tout simplement jalouse. C’était comme ça que ça sonnait après tout.

Ne pas en vouloir aux garçons? Jane était tellement loin de la vérité… C’était à croire que l’époque où elles se comprenaient d’un seul coup d’œil était révolue à jamais. Non, Alicia n’en voulait pas à ses frères. Non, elle n’en voulait pas à Jane non plus. Oui, Jane avait raison, elle savait à quel point c’était dur pour elle… mais est-ce que quelqu’un avait ne serait-ce que pensé deux secondes à quel point ça pouvait aussi être dur pour elle? Ally avait l’impression d’être maintenue à l’écart, qu’on ne lui disait rien. Sous prétexte parce qu’elle était avec James et en sécurité? C’était quoi ça? Elle se montrait peut-être injuste, mais c’était comme ça qu’elle le ressentait.

Quand Raffael promis à Jane d’essayer, Alicia ne put rien faire d’autre que lever les yeux au ciel. Et puis quoi encore? Il allait lui promettre de la laisser faire à sa tête pendant qu’on y était? Mais encore une fois, la jeune femme avait le dos tourné, alors personne ne put voir sa réaction. Elle remercia le ciel de l’avoir fait quand Raff lui assena que leurs parents devaient être fiers d’elle aussi, car les larmes lui montèrent aux yeux. Bah oui. Si ça lui faisait plaisir de le dire, grand bien lui fasse, mais ça ne changerait rien à ce qu’elle ressentait. Elle était venue là parce que James l’avait convaincue que ça lui ferait du bien de voir sa famille, mais au final ça la démoralisait plus qu’autre chose.

Finalement, Ally avait de plus en plus l’impression qu’elle perdait son temps, elle se demandait réellement ce qu’elle fichait là. Sa famille. Il y avait belle lurette qu’ils ne formaient plus le clan tissé serré qu’ils étaient. A quoi bon continuer à faire en sorte que c’était toujours le cas? Jane qui vagabondait, elle qui était avec James, ses frères occupés ailleurs… Alicia devait se rendre à l’évidence, sa famille était en lambeaux et rien ne pourrait changer ça. Même si elle s’y efforçait, il fallait qu’elle l’accepte. La jeune femme pris donc la décision d’attendre que Kaleb en ait terminé avec la main de Jane. Une fois que ce serait fait, qu’elle saurait que sa sœur allait plutôt bien, elle irait rejoindre James et ils rentreraient à l’hôtel. C’était le mieux qu’elle puisse faire, elle avait l’impression que sa présence compliquait la situation plus qu’autre chose. Et puis merde! Pourquoi est-ce qu’elle restait là après tout? Alicia savait pertinemment que tous les coups de scalpel ou de-je-ne-sais-quoi, elle les ressentirait comme si c’était à elle que ces tortures étaient infligées. Alors pour s’infliger un tel supplice? Pourquoi rester quand elle avait l’impression d’être indésirable, qu’elle était de trop? Peut-être était-ce tout simplement la fatigue qui la faisait divaguer? Ally n’en savait rien. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’en pouvait plus.

Il écoutait tout ce qui se passait, il pouvait même dire dans quel état était Alicia en ce moment. Il savait qu’elle était mal, elle se sentait certainement seule et abandonner dans son coin. Il avait mal pour elle. Jane aussi était seule, mais c’était son choix. Raff et lui étaient ensembles. Alicia, ils avaient tendance à croire qu’elle était bien car elle avait James. Mais elle devait aussi se sentir abandonnée par sa famille quelques jours. Raff et lui n’allaient pas la voir souvent et ils parlaient plus de Jane que d’Ally elle-même. Il coupa la chair dans la main de sa cadette, nettoya la plaie minutieusement avant de refermer. L’opération n’avait pas été très longue, mais elle avait dû être douloureuse autant pour Jane que pour Alicia. Raffael avait dû resserrer l’étreinte sur le poignet de leur jeune sœur à quelques reprises, il l’avait vu, en avait eu conscience. Mais Raffael et lui travaillaient ensembles depuis des mois ainsi et ils avaient pris l’habitude. Ils se comprenaient sans avoir à se parler et réagissaient à l’unisson. Ils survivaient ensembles et arrivaient à communiquer simplement par la réaction l’un de l’autre. Il avait vu le muscle de la jambe de son frère se tendre, il avait compris que Jane allait tenter de bouger et que Raffael l’en empêcherait. C’était aussi simple que ça pour lui maintenant.

Il appliqua une gaz stérile sur la plaie et le fit tenir avec un collant chirurgical. C’était terminé. Kaleb alla nettoyer ses instruments, se lava les mains. Il stériliserait le tout plus tard, il avait plus important à faire à ce moment-ci. Alicia contemplait toujours le mur, il s’approcha d’elle doucement, l’obligea à le regarder avant de l’obliger à venir près du lit avec lui. Il savait se montrer persuasif même sans dire un seul mot. Une fois près du lit, il enlaça sa petite sœur par derrière passant ses bras autour de son cou comme s’il lui faisait un gros collier. Il appuya sa tête sur son bras, sa joue touchant celle de la jeune femme.

-Regarde Ally, Jane va bien maintenant, elle ira bien je te le promets. Raffael à retrouver son calme, tout va bien d’accord. Je ne peux pas te promettre qu’il n’y aura pas d’autres disputent Ally, tellement de chose se passe, tellement de chose nous arrives. Tout ce que l’on veut, c’est que vous soyez bien et j’avoue que je te dois des excuses. J’ai tellement fait confiance à James pour assurer ton bien être que je t’en ai presque oublié. Pas dans le sens où je t’oublie physiquement non, tu es ma sœur et mes pensées t’accompagne chaque jour. Mais j’avoue avoir tremblé beaucoup plus fort pour Jane qui préfère se balader seule que pour toi qui est avec ton homme. Ton besoin de moi ou de Raff n’est pas moindre pour autant et j’en suis désolé.

Il déposa un bisou sur la joue de sa sœur et la garda dans ses bras. Il se fichait qu’elle n’en ait pas envie. Elle avait parlé de son rôle de chef de famille, il le jouait et bien il était temps qu’il le joue auprès d’elle. Leur famille n’était plus ce qu’elle avait été, mais elle n’était pas obligée d’éclater non plus. Il regarda Raff et Jane.

-Birmingham un jour, Birmingham toujours.

Ce n’était pas une devise, non, leur devise de famille était bien plus profonde que cette simple phrase. Mais il voulait dire par là qu’ils seraient toujours lié peu importe ce qui se passait dans ce monde, peu importe où ils se trouvaient. Bien entendu, ils avaient une famille plus grande maintenant, avec Amy, Mac, Hunter, Will, Ayana, James, Matthew et même Chris. Mais ils avaient toujours eu un cœur énorme qui pouvait contenir tellement de gens. Ils avaient encore de la place.

-Toi aussi tu dois voir les progrès de ta toute nouvelle nièce. Elle a des tantes « cool », il faut bien lui en faire profiter non?

Il sourit aux deux jeunes femmes.

Jane sentait son taux d’alcoolémie grimper, bien trop doucement à son goût mais elle s’en contenterait. Dans un sens, elle se complaisait à l’idée d’être sous peu envahie par une intense souffrance physique qui supplanterait le tumulte qui secouait son esprit. Raffael l’embrassa sur la joue, lui promettant d’essayer mais elle était déjà ailleurs. Elle ne pouvait quitter Alicia des yeux. La détresse de sa soeur s’infiltrait au plus profond d’elle-même comme une fumée corrosive, ne laissant derrière elle que le goût amer de la culpabilité, de l’écoeurement et du gâchis. Jane s’en voulait de ne pas avoir choisi les bons mots, de ne pas avoir su traduire en paroles ce que son coeur se mourrait d’exprimer. Son intervention avait été totalement contreproductive. Ce remord cuisant ne faisait que s’ajouter à la pile immense des griefs qu’elle avait à l’égard de sa propre personne mais il avait une saveur particulièrement acerbe. Car il s’agissait d’Ally, tout simplement. La jeune femme se sentait désespérée, comme piégée dans une impasse. Aucun mot ne lui semblait juste, aucun geste approprié. Elle se tut.

Kaleb commença son travail. A peine avait-il porté le premier coup de scalpel qu’une douleur intense, aiguë, lancinante, déchirante envahit son membre supérieur droit, ravivée mille fois par chaque nouvelle atteinte au moindre de ses tissus. Jane luttait, les dents serrées, le visage grimaçant, la nuque bougeant d’un sens à l’autre. Son cerveau envoyait de manière réflexe à son bras l’ordre de se rétracter afin d’échapper au supplice qu’il était en train de subir. Néanmoins, Raffael la maintenait avec une telle force que tout ce qu’elle parvint à obtenir furent quelques contractions isométriques. Elle entendait de loin son frère parler d’Ayana mais elle était trop concentrée sur son combat contre elle-même pour intégrer ces informations. Par habitude, elle s’était à nouveau isolée dans son agonie. Une larme se mit à perler au niveau de son canthus interne tandis qu’elle réprimait quelques gémissements, fermant la bouche et se mettant en apnée. Jane se souvint alors des mots d’une de ses amies qui, après son accouchement sans péridurale, lui avait dit que la meilleure méthode était de ne pas se battre, d’accepter sa douleur, de la laisser s’emparer entièrement de soi. La jeune femme trouva l’idée intéressante et décida de l’appliquer, ne saisissant toutefois pas l’ironie du parallèle avec sa peine psychologique. Jane adopta une respiration ample et profonde. Elle se laissa davantage aller contre son frère et posa sa main libre sur son bras afin de sentir sa peau contre la sienne. Un calme étrange l’envahit comme si elle était coupée du monde extérieur. Son corps était parcouru de paresthésies qui semblaient anesthésier une partie de sa douleur. Ses oreilles bourdonnaient. C’est lorsque sa vision commença à s’obscurcir qu’elle comprit qu’elle était en train de faire un malaise vagal. Fort heureusement, son frère termina alors son intervention et elle évita de justesse l’évanouissement. Un léger sourire aux lèvres, elle murmura : « Merci Kal. J'ai presque rien senti. »

La jeune femme demeurait quelque peu sonnée tandis que ses frères s’occupaient d’Ally. Elle était soulagée de ne plus être le centre de l’attention. Si sa soeur avait probablement besoin qu’on la remarque davantage, Jane désirait simplement qu'on l'oublie, qu'on la laisse respirer. Alors qu’elle écoutait Kaleb parler, la jeune femme réalisa qu’elle avait perdu ces derniers mois une partie de son empathie, de sa clairvoyance, de sa compassion. Elle qui avait choisi d’évoluer dans un monde primitif fait d’action, de violence et d’horreur pour anesthésier sa peine avait accompli sa mission. Elle était moins sensible à sa propre douleur, certes, mais également à celle des autres. Il y a forcément un prix à payer lorsqu’on commence à faire des compromis avec son humanité. Jane essuya les larmes qu’elle n’avait pas eu le temps de chasser de sa joue puis se retourna quelques instants vers Raffael, lui lâchant un regard trahissant à peine son désemparement. Elle hocha discrètement la tête en réaction au "Birmingham un jour, Birmingham toujours" de l'aîné. Elle n'avait de cesse de les fuir mais c'était sa famille qui la rattachait à la vie. Ils ignoraient tous à quel point leur simple existence la sauvait quotidiennement.

La jeune femme esquissa un discret sourire lorsque Kaleb parla d’Ayana. Il y avait tellement de fierté dans sa voix qu’elle en était presque touchée. Elle était sincèrement heureuse qu’il ait trouvé un nouveau repère dans sa vie et croisait les doigts pour qu’elle lui cause moins de tourments qu’elle-même. Les mots de son frère sonnaient toutefois de manière amère dans ses oreilles. Ayana avait tout l'air d'être une jeune fille formidable mais les petites nièces, les tantes « cool », les devises de famille, les grandes tablées, tous ces éléments qui évoquaient un semblant de vie normale étaient à des années lumières de sa réalité. Son quotidien, c’était la faim, le sang, la soif, la survie, les marches interminables, les décharges de catécholamines, la symphonie des grognements, le bruit des boîtes crâniennes fracturées. Ils semblaient vivre dans des mondes totalement opposés, séparés par une frontière de verre infranchissable à travers laquelle ils se regardaient de temps à autre, impuissants. Jane savait pourtant qu’elle devait faire un effort, même s’il fallait qu’elle se fasse violence. Pour Ally. Elle se redressa légèrement et sourit en regardant sa bouteille d'alcool à moitié vide du coin de l'oeil. « Toute jeune fille qui se respecte a besoin d’une tante pour lui apprendre à apprécier un bon whisky, n’est-ce pas ? » Jane eut la nausée en prononçant ces mots, non pas parce que sa réplique était relativement lamentable et inappropriée mais car elle savait qu'il y avait une probabilité non négligeable pour que, d'ici l'aube, elle soit déjà fort loin.

Sa petite sœur avait presque perdu connaissance pendant l’intervention. En fait, il était surpris qu’elle ne l’ait pas fait. Il avait serré sa main libre alors qu’elle était au bord du précipice. Il ne savait pas si elle avait eu conscience de ce qu’il avait fait. Mais elle avait repris quelques couleurs et Kaleb avait enfin terminé. Elle l’avait remercié en disant qu’elle n’avait presque rien sentie. Il eut un sourire pour son frère. Jane, Jane, Jane, Jane, même enfant elle n’avait presque pas mal quand elle souffrait le martyre. Elle n’était pas du genre à se plaindre, Alicia non plus d’ailleurs. Sauf lorsqu’elles voulaient faire pitié, ça leurs arrivaient de temps à autre, mais elles n’étaient pas vraiment blessés lorsqu’elles faisaient ça. Ils le savaient tous. Il prit une serviette sur la table près de lui et épongea le front le Jane. Toute cette douleur l’avait fait légèrement suer. La pauvre, elle avait dû souffrir. Sa voix sonnait comme si elle était soule. La quantité d’alcool qu’elle avait ingurgité y était pour quelque chose. Elle indiqua que toute jeune fille devait avoir une tante qui saurait lui montrer comment apprécier un bon whisky. Il ne fût pas choqué par les propos de Jane. Il eut même un petit sourire, triste, mais un sourire.

-Elle a surtout besoin que ses tantes lui apprennent à être aimé. Vous savez si bien le faire Ally et toi, c’est de ça dont elle à besoin. Ayana a grandit dans la rue, plusieurs personnes lui ont appris à apprécier le bon whiskey, comme le mauvais d’ailleurs. Mais personne ne lui a appris qu’elle pouvait être aimée.

Il avait relâché le bras de Jane. Ça ne l’empêcha pas de passer ses bras autour d’elle et de la serrer contre lui. Il aurait pu lui demander de rester pour la nuit, juste pour la nuit. Ou du moins le temps de dessoûler. Mais il savait que ça ne servirait à rien et qu’il serait d’autant plus déçu si elle n’y arrivait pas. Elle avait dit essayer et il a avait promis d’essayer lui aussi. C’est ce qu’il faisait en ce moment. Mais il avait vu sa sœur, il l’avait vraiment vu un peu plus tôt et ça, c’était un peu d’espoir de la voir redevenir un peu plus elle-même. Il ne l’entravait pas, il ne faisait que la tenir contre lui. Si c’était tout ce qu’il pouvait lui donner comme chaleur humaine le temps qu’elle était là, il le ferait. Il ferait tout ce qu’il pouvait pour qu’elle retrouve l’envie de vivre. Si c’était le seul moyen, de la laisser faire comme elle l’entendait et de juste être là et l’aimer quand elle venait vers eux, c’est ce qu’il allait faire. Les cris n’avaient rien donnés, peut-être que de simple geste d’acceptation et qui lui faisait voir à quel point il aimait sa petite sœur pourrait l’aider. Du moins l’espérait-il. Il regarda Ally, elle semblait si triste.

-Ally?

Il ne demanda rien, le simple fait de nommer son nom comme une interrogation était suffisante. Elle saurait qu’il voulait savoir comment elle allait et ce qu’elle ressentait. Il s’attendait à ce que ce soit son tour à exploser. Elle ne réagissait pas au contact, ni aux propos de Kal. C’était mauvais signe en soi.

Durant toute l’opération, Alicia était restée face au mur. Entendre gémir Jane à cause de la douleur, c’était suffisant pour elle. Étrangement, cette fois-ci, elle n’avait pas réellement senti les coups de scalpels et autres instruments de torture alors qu’habituellement, Jane et elle ressentaient tout ce l’autre ressentait. C’était un phénomène bizarre auquel Ally n’avait jamais rien compris, mais elle était bien contente que ça lui ait été épargné cette fois-ci.

A la voix un peu pâteuse de Jane, Ally compris que le whisky faisait son effet sur sa sœur. Si ça pouvait la faire dormir et qu’elle passe la nuit à l’hôpital, ça serait déjà ça de gagner. Mais Alicia ne se faisait plus d’illusions sur le sujet, les probabilités que sa sœur aie fouttu le camp au petit matin étaient très élevées. Jane avait beau dire, ce n’était pas que la mort de Warren qui la maintenait ainsi à l’écart. Peut-être ne supportait-elle plus sa famille? Ou du moins ce qui en restait. Peut-être que, finalement, c’était Ally qui avait tout faux. Peut-être Jane avait-elle raison de rester à l’écart? Comme ça, elle évitait les déceptions, les disputes, le sentiment d’être délaissée… Plus elle y pensait, plus Alicia commençait à trouver que ç’avait du bon. C’était dire combien elle n’avait plus le moral si elle en était rendue à croire que Jane était celle qui avait raison de rester à l’écart plutôt qu’avec la famille.

Quand Kaleb vint la chercher pour la ramener près du lit, Alicia n’opposa aucune résistance. De toute manière, persuasif comme son frère savait l’être, elle n’avait aucun chance de gagner cette bataille. Elle n’eut aucune réaction quand Kaleb lui dit qu’il s’excusait, qu’il s’était trop fié au fait que James était là pour prendre soin d’elle, qu’il lui arrivait de l’oublier à cause de ça. «Rien de nouveau sous le soleil» songea amèrement la jeune femme. Ayana avait des tantes cool? Alicia ne se faisait plus l’impression d’en faire partie. Tant mieux si son frère était heureux avec sa famille. Quant à elle, ça faisait un bon moment déjà qu’elle ne s’y sentait plus à sa place. Elle l’avait compris depuis longtemps, elle avait juste mis du temps à l’accepter. Et comme pour tourner le fer dans la plaie, Raffael s’y mis lui aussi en disant qu’Ayana avait besoin que ses tantes lui apprennent qu’elle pouvait être aimée. Une tante. Comment Alicia pouvait-elle être la tante d’une gamine qu’elle ne connaissait pratiquement pas? Personne ne venait la voir à l’hôtel – la fois où elle avait surpris Jane ne comptait pas – et là, tout d’un coup elle était une tante? La bonne blague! C’est sûrement le tout combiné qui mit le feu aux poudres. Si Ally tentait de garder son calme depuis un bon moment, ses frères venaient carrément d’allumer le brasier.

- Ça fait 6 mois que c’est chacun pour soi et là, tu penses me rallier à la famille avec la devise de papa? Ça fait des mois qu’on est plus une famille. Tout ce qui nous lie désormais, c’est l’ADN. rétorqua-t-elle avant de se mordre la langue pour avoir laissé s’échapper ces derniers mots. Heureusement, elle s’était retenue pour ne pas dire que c’était malhonnête de sa part de se servir de leur père pour marquer des points. Vous m’excuserez, mais je n’ai pas vraiment la tête aux mondanités avec le reste de notre prétendue famille. Ou à faire semblant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. répondit Ally, amère, en se dégageant brusquement des bras de son frère. J’espère que tu te remettras vite. ajouta-t-elle à l’intention de Jane.

Alicia se détourna en clignant frénétiquement des yeux pour ne pas laisser couler ses larmes. Elle sortit précipitamment sans attendre qu’on essaie de la retenir et alla chercher James. Pour le moment, tout ce qu’elle voulait, c’était partir et rentrer chez elle. Dans cet hôtel minable qui lui faisait regretter son appartement chaque jour un peu plus.

Désolée, c'est mauvais! Je me rattraperai dans notre prochain sujet de famille!

Alicia disait que tout ce qu’ils avaient en commun n’était plus que l’ADN. Ce fût comme un poing en plein ventre qu’elle venait de lui décocher. Il en eu le souffle couper. Est-ce que c’était vrai? Était-ce vraiment tout ce qui lui restait en commun avec ses deux sœurs? Car il savait que ce n’était pas le cas pour Raffael. Après qu’Ally soit sortit, il regarda Raffael et Jane tour à tour. Il se passa la main au visage secoué. D’accord, ils n’allaient pas la voir assez souvent, elle pouvait le leur reprocher. Il alla dans l’armoire et prit quelques comprimés de pénicilline. En intraveineuse ce serait plus efficace, mais il n’était pas dupe, elle ne resterait pas quelques jours. Elle serait même sans aucun doute partit avant le lever du soleil. Il était naïf de croire qu’elle serait là pour sa « nièce ». Il prit un contenant, garda deux comprimés dans ses mains et rangea les autres dans le flacon. Il le referma et le rangea dans le sac à dos de Jane.

-En intraveineuse se serait mieux, mais comme tu risques d’être partie avant le lever du soleil, je te les donnes en comprimés. N’oublie pas de les prendre s’il-te-plaît.

Il se tourna vers sa sœur, elle devait avoir ses recommandations d’usages. Il était médecin après tout.

-Et si jamais tu vois que tu commences à faire de la fièvre ou si tu ne te sens pas bien, reviens ici tout de suite. Je t’en supplie, ne reste pas dans la rue si tu es malade.

Il ne voulait pas qu’elle meure d’une infection. Déjà qu’elle avait beaucoup de danger à faire face seule, s’il fallait qu’elle se laisser achever par une infection. Ce serait le comble pour lui. Il regarda sa sœur, Raffael ensuite avant de baisser les yeux, incapable de dire ses mots en les regardant en face tous les deux.

- Ally a peut-être l’impression qu’il ne nous reste que l’ADN en commun, je ne suis pas d’accord et j’ose espérer que j’ai raison.

Il embrassa Jane sur la joue avant de lui donner un verre d’eau pour qu’elle puisse avaler ses comprimés. Ce n’était pas la meilleure idée imbibé d’alcool comme elle était, mais en même temps, avait-il le choix? Il se détourna de son frère et sa sœur, cette fois, il avait mal. Mal de voir qu’il n’avait pas réussit. Échouer à maintenant sa famille ensemble. Il mit de l’eau à bouillir, ils avaient déplacé un petit poêle de camping dans cette salle, il pouvait donc stériliser ses instruments sur place. Il prépara le tout, s’occuper l’esprit était la meilleure idée en ce moment. Il ne pouvait pas partir de la pièce, sa sœur pourrait avoir besoin de lui. Sinon, il serait déjà partie et aurait rejoint sa femme. Quand il souffrait ainsi, c’était vers elle qui se tournait. Il tentait de se créer de nouveau lien ici, mais il n’oubliait pas ses sœurs quand même. Ils ne pouvaient pas aller à l’hôpital quand il le voulait, elle devait bien le savoir Alicia non? C’était son groupe, elle les connaissait.

Peut-être que c’était lui qui se faisait des idées aussi et qu’il imaginait que ça lui prenait une raison pour aller là-bas. Après tout, il était le toubib non? Un des seuls d’ailleurs. Alors ils n’avaient pas un seul mot à dire. Il irait plus souvent la voir, il n’en parla pas. Il n’avait pas envie de discuter en ce moment. Ils disaient tous qu’il était l’homme des discours, pas cette fois. Il n’était pas sortit non plus pour rattraper sa sœur. C’est maintenant qu’il avait l’impression que son père devait se retourner dans sa tombe. Il n’avait pas réussit à faire ce qu’il avait demandé, il n’avait pas réussit à garder sa famille unis. Le pire étant qu’avant que sa sœur ne le lui jette en pleine face, il avait cru bêtement qu’il avait réussi. Il était vraiment naïf et s’en voudrait de l’avoir compris aussi tardivement.