Quatre jours et trois nuits qu’il était là. Il lui semblait que c’était depuis une éternité. Il aidait les membres du groupe, s’occupait des animaux et avait fait son premier tour de garde de nuit la nuit précédente. Il était fatigué, mais ça allait. Il était au poulailler, il avait trait les vaches, maintenant il devait les poules. Il tentait de laisser tout l’espace possible pour Andrea. Il se faisait tout petit, lui laissait la place, les deux premières nuits, il dormait bien avant son entrée dans la chambre et était levé bien avant son réveil. Il n’était donc pas dans la chambre lorsqu’elle se réveillait. Il lui parlait lorsqu’il la croisait dans les couloirs, mais ne faisait plus d’allusion comme il l’avait fait. Ne lui demandait rien d’autres que des banalités. Il ne pouvait pas s’empêcher de la toucher, mais il tentait de le faire le moins possible. En même temps, il ne voulait pas qu’elle croit qu’il l’évitait ou qu’elle le dégoûtait comme elle lui avait dit.

Il venait de terminer de nourrir les poules, il ne pouvait pas faire abstraction des grognements. Les rôdeurs étaient partout. Les poules ne semblaient pas être indisposées, les vaches non plus. La chèvre avait un peu plus de difficulté, mais elle était déjà stressée à prime à bord. Il se pinça l’arrête du nez, la migraine menaçait de se pointer. Sa nuit blanche ne pouvait quand même pas lui faire ça, combien en avait-il passé sans avoir de foutu migraine. Ou alors c’était le changement d’environnement, ou la rencontre avec Andrea qui lui faisait tournée la tête. Il allait se mettre à la cueillette des œufs pour les ramener en cuisine lorsqu’il entendit quelqu’un entrer dans l’enclos. Il se retourna pour regarder qui venait d’arriver. Au moins, il savait qu’un zombie n’aurait pas ouvert la porte, il était plus calme ici, même s’il restait quand même sur ses gardes. Il eut un petit sourire lorsqu’il vit la jeune femme.

-Salut Andrea, j’allais justement cueillir les œufs pour te les apporter.

Il savait que c’était elle qui était responsable de la cuisine, à trois poules la récolte ne serait pas très grosse. Mais Willow pensait peut-être à faire une nouvelle sortie en campagne pour en trouver deux ou trois de plus. Ce ne serait pas du luxe. Se serait de la charge de travail de plus pour lui, mais il s’en fichait bien. Il avait choisi le même métier que son père et sa mère car il aimait les animaux. Il aimait à en prendre soin. Avant toute l’histoire des zombies, il avait cinq vaches, une dizaine de poule, un cheval, deux chèvres et même deux cochons. Le ratio avait beaucoup diminué. Il prit le panier qu’il avait emporté avec lui, un panier d’osier dont sa mère se servait toujours pour les récoltes d’œufs.

Ce matin-là, Andrea se dirigea vers le poulailler, elle avait besoin d’œufs. Pour le petit déjeuner, elle ferait une grosse omelette – avec quelques-uns des légumes qui restaient du passage chez Chris – et la séparerait entre eux. C’était le mieux qu’elle puisse faire en attendant que le potager commence à donner des légumes. Ce qui était sûr, c’était que cette idée de Willow allait grandement simplifier sa tâche de concocter les repas. Les animaux de Christopher y étaient aussi pour beaucoup. Du lait frais, c’était un luxe qu’ils ne s’octroyaient plus depuis longtemps, mais depuis que les deux vaches et la chèvre étaient là, ils pouvaient réintégrer des aliments sains à leur alimentation. Les écureuils, lièvres et compagnie, ça faisait un temps, mais à un moment ou à un autre, il fallait changer la diète qui était la leur.

Aussi Andy s’était-elle levée très tôt ce matin-là. En réalité, elle ne dormait jamais beaucoup, alors se lever aux aurores n’était pas du tout un problème pour elle. Andrea mettait donc ce temps à profit pour commencer à préparer le petit déjeuner. Toujours très frugal, mais c’était mieux que rien. Comme à chaque matin depuis que Willow avait décrété qu’ils avaient besoin d’une ferme miniature et d’un potager, la jeune femme enfournait les trois pains qu’elle avait faits la veille avant de quitter sa cuisine pour aller chercher ses œufs. C’était son petit rituel et elle adorait ça. Ces tâches avaient le chic pour l’occuper et pendant qu’elle travaillait, elle n’avait pas besoin de réfléchir, de penser à la situation avec Christopher.

Christopher. Andrea n’allait pas mentir, se lever presque en même temps que le soleil, ç’avait aussi du bon en ce qui concernait Chris. Ça lui permettait de l’éviter le plus possible. Quand elle entrait dans la chambre chaque soir, il dormait déjà. Quand elle se levait, il était déjà parti se mettre au boulot. C’était parfait pour elle, ça l’arrangeait grandement. Si elle, elle tenait vraiment à éviter de rester en sa présence trop longtemps, Chris ne semblait pas voir les choses ainsi. Il était évident pour tout le monde qu’il prenait grand soin à ne pas lui imposer sa présence, mais il ne s’empêchait pas de lui parler quand il la croisait. Tout comme il ne semblait pas être capable de ne pas la toucher dès qu’il était à proximité.

Ce matin-là, Andy alla donc à la chasse aux œufs pour son omelette. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était d’arriver dans l’enclos et de figer sur place en voyant que Chris était déjà là. Elle allait tourner les talons et repartir sans bruit, mais quand il se retourna, la jeune femme compris qu’elle ne s’en sortirait pas aussi facilement. Il l’avait entendue. Ce n’est que lorsqu’il lui dit qu’il allait ramasser les œufs pour les lui apporter qu’Andy se décida enfin à le rejoindre.

- Merci, mais je peux m’en occuper maintenant. Tu peux retourner t’occuper des autres bêtes.

Ce n’est qu’après avoir parlé sans réfléchir qu’elle compris qu’elle avait été vraiment… grossière.

- Je te demande pardon. Je n’aurais pas dû te parler comme je l’ai fait.

Le jeune homme resta surpris du ton employé par la jeune femme, mais n’en laissa rien paraître. Elle dû cependant s’apercevoir de sa réaction ou avait-elle réalisé qu’elle avait été légèrement agressive, quoi qu’il en soit, elle s’excusa. Il haussa les épaules. Il n’allait pas s’offusquer comme une vierge offensée parce qu’elle avait utilisé un ton sec avec lui. Les tensions n’étaient pas rares à vivre ici, parmi tous ses gens. Il savait aussi que pour elle, il était l’une des tensions qui l’oppressait. Ce n’était pas ce qu’il voulait, au contraire. Il aurait aimé être apaisant, rassurant pour elle. Il lui sourit et lui tendit le panier d’osier.

-Fais comme chez toi.

Il s’appuya contre le grillage et la laissa travailler en paix. Il croisa les bras sur sa poitrine. Il voulait lui laisser de l’espace, mais en même temps, il n’avait pas envie de la perdre. Il l’avait laissé partir n’avait plus eu de nouvelles et l’avait regretté. Maintenant, ils étaient là et elle exigeait qu’il se tienne loin d’elle car elle semblait attirer la mort sur ceux qu’elle aimait. Comment pouvait-elle croire une chose pareille?

-Je suis là pour rester Andy. Je tiens à te le dire. La mort, on la frôle tous ici, on ne l’attire pas, on ne la provoque pas intentionnellement. On la subit.

Il se redressa et chassa ses propos d’un geste de la main. Il ne savait pas pourquoi il venait de lui sortir ça, ça n’avait aucun sens même à ses yeux. Il secoua la tête.

-Laisse tombé, je ne sais même pas ce que je dis. Je veux juste … je ne sais pas. Je ne comprends pas tout simplement. J’aimerais …

Il se ravisa.

-Non, c’est stupide. Désolé. Tu as raison, je suis mieux d’aller m’occuper de ma chèvre. Avec elle au moins je sais y faire.

Il eut un sourire triste et sortit de l’enclos des poules, il se dirigea vers Sheddy, sa chèvre anxieuse. Elle allait peut-être consentir à lui donner un peu de lait ce matin. Sheddy était celle qui souffrait le plus, dans ses animaux, de la situation. Il entra dans l’enclos et s’installa sur le tabouret attirant la chèvre à lui. Il lui gratta le derrière des oreilles avant de s’installer pour la traire.

Elle l’avait encore fait. Décidément, elle avait un talent hors du commun pour se mettre dans le pétrin. Andrea ne voulait qu’éviter de faire souffrir Christopher, qu’il lui arrive quelque chose par sa faute et voilà qu’au final, elle lui faisait de la peine quand même. Comment se sortir de celle-là, hein? Voilà maintenant qu’à cause de ses conneries, Chris ne comprenait plus rien et pensait qu’il ne savait plus y faire. Bon sang! Ce n’était pas lui le problème, c’était elle! Lorsqu’il la quitta pour aller s’occuper de la chèvre, Andy poussa un profond soupir de lassitude. Si elle avait cru que rester à l’écart serait plus simple, elle venait de comprendre qu’elle s’était littéralement fourvoyée. Pour se donner le temps de trouver quelque chose à dire, Andy ramassa les quelques œufs, les mis dans le panier et quitta l’enclos avant d’aller retrouver Christopher. Elle ne savait pas encore quoi lui dire, mais elle était consciente de lui devoir des excuses. De plates excuses.

Sachant la chèvre anxieuse, Andrea décida de rester à l’extérieur de l’enclos. Elle ne savait pas trop par où commencer. Le début semblait être une bonne alternative, mais là encore, Andy n’était pas certaine d’être prête à tout raconter. Ce n’était pas un passage très glorieux de sa vie et elle en avait franchement honte. Honte d’avoir dû s’abaisser à exercer un tel job pour garder un toit sur leurs têtes à Nat et elle. Honte. Honte de ne pas avoir su trouver un autre job qui pourrait l’aider à boucler mois. Honte de ne pas avoir étudié tout de suite dans le domaine qu’elle voulait. Elle avait fait des choix douteux dans sa vie et le regrettait amèrement. Le regretterait-elle toujours?

- Chris… Je suis désolée, d’accord? Le problème, ce n’est pas toi, c’est moi. commença lentement Andy qui détestait ce type d’excuses bidon du « ce n’est pas toi, c’est moi ». Je me rends bien compte que je suis pénible et que c’est sûrement pire si je n’explique rien, mais c’est mieux comme ça. Crois-moi.

Lui offrir ses plus plates excuses semblait être la seule chose qu’elle était capable de faire ces temps-ci. C’en était désespérant à la fin! Mais elle ne savait pas comment s’expliquer. C’était ça en réalité son problème. Elle devait des explications à Chris pour son comportement, mais si elle ne lui racontait pas tout, il ne comprendrait jamais. Tout raconter était aussi au-dessus de ses forces. Autant dire qu’elle ne savait plus que dire, que faire pour se faire comprendre.

- Je sais bien qu’on a tous fait des choses dont on est pas fier pour survivre un jour de plus, mais pour certains, c’était avant que le monde ne bascule dans ce cauchemar éveillé.

Elle était d’un pathétique… Plus elle tentait de s’expliquer, moins elle était claire. Plus elle tentait de faire comprendre à Christopher que c’était mieux pour tout le monde qu’elle reste à l’écart, plus elle s’embourbait dans ses histoires. Tout ça pour quoi? Tout ça parce qu’elle ne voulait pas avoir à lui dire qu’elle s’était littéralement fait baiser pour du fric. Quoique… à bien y penser, si elle le lui disait, il prendrait bien la poudre d’escampette.

Ce qui la retint de le lui dire, c’était la peur de voir du dégoût dans ses yeux quand il la regarderait. Elle devait supporter son propre regard quand elle se voyait dans un miroir, supporter celui de Chris… ça serait au-dessus de ses forces.

Il l’avait entendu arriver, il n’avait pas bougé de sa position. Il n’avait pas envie qu’elle croit qu’il surveillait ses moindres faits et gestes. De plus, si elle n’avait pas envie de discuter, le fait qu’il ne se retourne pas faisait qu’elle pouvait simplement passer son chemin. Il tirait doucement les pies de sa chèvre et fût heureux de constater qu’elle donnait du lait à nouveau. Sheddy n’était pas vieille, elle n’était pas en âge de passer à la casserole. Il était content qu’elle s’acclimate mieux que lui à son nouvel environnement. La jeune femme décida finalement de lui parler, il écouta. C’était elle le problème semblait-il, il détestait cette phrase. S’il faisait les choses si bien, s’il n’était jamais le problème pourquoi était-il toujours seul? Mais ça, il n’allait certainement pas l’exposer devant la jeune femme. Il continua plutôt à traire la chèvre en silence, laissant Andy libre de continuer. Elle disait que c’était mieux si elle n’expliquait rien, il n’était pas d’accord. Mais c’était son choix et il le respectait.

Elle poursuivit en disant que certains avaient fait des choses dont ils n’étaient pas fiers et que ça ne datait pas que de l’avènement des zombies. Du moins, c’est ce qu’il comprit des propos de la jeune femme. C’était donc ça, c’est pour ça qu’elle avait peur de voir du dégoût dans ses yeux. C’est parce qu’elle avait fait quelque chose qui la dégoûtait elle-même. Elle avait visiblement honte de ce qu’elle avait fait. Il termina la traite de la chèvre et se leva lentement. Il rangea le tabouret et s’avança vers la jeune femme. Elle n’était pas entrée dans l’enclos, probablement qu’elle avait su que la chèvre était anxieuse. Il aimait le fait qu’elle respect ce genre de chose et le comprenne. Lui aussi pouvait comprendre bien des choses. Il se planta face à elle, son expression restait neutre.

-Andy, les gens dans la vie sont appelés à faire des choses qui les dégoûtent. Ça ne veut pas dire pour autant qu’ils dégoûtent les autres où qu’ils doivent se punir et rester loin.

Il se rendit ensuite dans un coin où Willow lui avait laissé un contenant. C’était un contenant stérile où verser le lait et elle l’avait gradué pour qu’il puisse lui dire combien de liquide avait donné la chèvre. Il referma le contenant et sortit de l’enclos avant de ranger le récipient dans le panier qu’Andy tenait, faisant bien attention à ne pas briser les œufs. Il referma l’enclos pour que la chèvre ne puisse pas s’enfuir. Il fit à nouveau face à la jeune femme avant de poursuivre.

-Tu ne me dois pas d’explication, ni d’excuse Andrea. Je n’ai rien à te pardonner. Tu as été clair dès le premier jour et c’est moi qui continue. Je ne cherche pas à comprendre, c’est simplement que le temps que nous avons est précieux et je ne tiens pas à le perdre en t’évitant, surtout que je n’en ai aucune envie.

C’était comme ça, elle pouvait le repousser tant qu’elle le voulait. Il ne jouerait pas au fantôme simplement parce que c’était ce qu’elle voulait. Il avait envie de la voir chaque jour qui lui restait et tant pis si elle n’était pas d’accord. Si elle le repoussait parce qu’elle n’en avait rien à faire de lui, il le ferait bien sur, il l’éviterait, mais là ce n’était pas la raison.

-Si un jour tu as envie de discuter de ce qui risque de te rendre dégoûtante à mes yeux, je suis prêt à t’écouter. Je veux aussi que tu saches que je ne te jugerai pas. Je ne suis pas du genre à jeter la première pierre.

Il lui caressa la joue avant de la contourner. Il devait nourrir les vaches et il ne voulait pas non plus que la jeune femme se sente obligée de répondre à ce qu’il venait de dire. Il ne voulait rien forcer, rien brusquer. La première fois, c’est ce qu’il avait fait et elle avait fui. Il ne referait pas la même erreur. Il lui laisserait le temps et si elle avait envie de lui parler, elle savait où le trouver. Les enclos n’étaient que du grillage pour le moment, donc elle pouvait facilement le repérer.

Être amenée à faire des choses qui la dégoûtaient? C’était bien ce qui s’était produit. Malheureusement. C’était dégradant, elle était désormais incapable de se regarder dans une glace sans avoir envie de vomir. Quant à Chris… Il ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre. Même si elle le lui expliquait, Andrea savait que Christopher ne pourrait jamais réellement comprendre ce qu’elle avait pu être amenée à faire pour s’assurer que sa sœur ait toujours un toit sur la tête. Même s’il le souhaitait par-dessus tout, il ne comprendrait pas, ne comprendrait jamais qu’elle n’avait eu d’autres choix que de se prostituer. La seule consolation d’Andy, c’était que Nathalie n’en avait jamais rien su. Ou du moins, n’en avait jamais parlé. C’était la seule chose positive qui pouvait découler de toute cette vie merdique qu’était la sienne.

Après lui avoir dit qu’elle ne lui devait ni explications, ni excuses, qu’elle n’avait pas à se faire pardonner, Chris ajouta que si elle voulait en discuter, il ne la jugerait pas. Ben voyons! Comment pourrait-il faire autrement, hein? Andrea elle-même se jugeait. Intensément par-dessus le marché! Comment pourrait-il ne pas la juger pour s’être vendue comme elle l’avait fait? Si elle parlait, elle serait désormais une seule chose aux yeux de Christopher : une pute. Et il n’aurait aucune raison de ne pas le penser. Comment pouvait-il croire qu’il ne la verrait jamais différemment le jour où il saurait ce qu’elle cachait à tout le monde?

Et il l’avait encore fait! Il voulait qu’elle lui parle, qu’elle s’explique ou du moins, c’était ce qu’il semblait vouloir, et à chaque fois, il finissait par ficher le camp! Non, Andrea n’allait pas s’abaisser à le suivre!

- Si tu veux tout savoir, j’étais obligée de me faire baiser pour du fric, pour garder un toit sur la tête de ma sœur! lui cria-t-elle pour être sûre qu’il l’entende pendant qu’il s’éloignait.

Furieuse d’avoir révélé sa honte comme elle l’avait fait, furieuse contre elle, furieuse contre lui, Andy tourna les talons et se mis à courir. Elle allait se réfugier dans sa cuisine. Tout le monde savait qu’elle détestait être dérangée quand elle travaillait, on lui ficherait donc la paix! Et celui ou celle qui aurait le malheur de venir fourrer son nez dans sa cuisine… il paierait pour tous les autres!