Andrea dormait seule dans sa chambre et ce, depuis 15 jours. Soit depuis son arrivée à l’hôpital quand Shane lui avait ordonné de prendre ses jambes à son cou et de ne pas s’arrêter avant d’arriver à l’hôpital. Elle savait qu’avoir une chambre pour elle toute seule, ça ne durerait pas très longtemps, que la prochaine personne qui arriverait devrait partager sa chambre, on l’avait bien prévenue. Mais Andy ne croyait pas que ça serait aussi rapide. Voilà pourquoi elle fut surprise d’entrer dans sa chambre et de voir un homme qui lui tournait le dos, occupé à faire son lit. « Super! Un étranger! » songea la jeune femme en s’arrêtant brusquement dans le cadre de la porte. Elle aurait vraiment préféré être toute seule. Ça faisait des mois qu’elle avait toujours quelqu’un sur les talons, alors Andy n’avait pas détesté être toute seule pendant un certain temps. Mais elle avait été prévenue et pour des questions de sécurité, elle comprenait qu’il en ait été décidé ainsi. N’aurait-on pas pu la prévenir? La personne qui avait attribué cette chambre à cet homme n’aurait-elle pas pu se mettre à sa recherche et la prévenir? Lui présenter son colocataire? Ça lui aurait semblé la moindre des choses après tout.

L’homme avait dû l’entendre entrer, car il se retourne presque aussitôt. Et le cœur d’Andy fit un bond dans sa poitrine : Christopher Thompson. De toutes les personnes qu’elle connaissait, Chris était le dernier qu’Andrea pensait revoir un jour. Après les ennuis de Nathalie avec la justice et les travaux communautaires qu’elle avait dû faire à la ferme de cet homme, Andy ne l’avait jamais revu. Les occasions s’étaient faites… rares. Peu après la fin des ennuis de Nat avec la justice, leurs parents étaient décédés et tout le reste avait suivi. Les funérailles, le déménagement, les ennuis financiers, la vente des voitures – pour des bouchées de pain – ces trois boulots différents, dont le dernier en date…

- Christopher… ça fait longtemps.

Dire que quelques mois plus tôt, environ un an pour être exact, Andy n’aurait rien eu contre le fait de faire plus ample connaissance avec Chris. Et lui-même avait semblé intéressé par l’idée. La vie avait fait en sorte que les choses ne s’étaient jamais déroulées ainsi. Et maintenant, Andrea se demandait quelle attitude adopter. La seule chose qu’elle savait, cependant, c’était que jamais Chris ne devrait apprendre qu’elle en avait été réduite à vendre son corps. Personne ne devait le savoir. Jamais. Surtout pas Christopher.

Jamais.

Willow lui avait donné une chambre, lui avait dit qu’il cohabiterait avec une fille qui était là depuis une ou deux semaines, elle n’en était plus sûr et qu’il pourrait la trouvé pas très loin dans le couloir. Il avait fait le tour de la chambre des yeux avant d’entrer et de se diriger vers le lit libre. Il en était à disposer les draps qu’il avait apportés de la maison sur son lit lorsqu’une personne entra. Il s’était retourné rapidement, peut-être l’habitude de l’attaque ou l’envie de ne pas être surpris même si on disait qu’il était à l’abri. Willow lui avait dit qu’il était en sécurité, elle lui avait aussi de ne pas prendre les draps, mais bon, ils avaient besoin de tous le matériel dont ils disposaient et des draps, c’était utile pour les lits non? Il en avait gardé un pour lui et donné les autres pour le groupe.

Il regarda la jeune femme. Si elle l’avait reconnue tout de suite, lui aussi l’avait reconnue. Andy, Andrea en fait, mais elle préférait de loin qu’on l’appelle Andy. Un sourire éclaira tout de suite sur son visage. Une autre personne qu’il connaissait et appréciait pour l’aider à s’adapter dans ce monde de fou. Il s’approcha de la jeune femme et l’étreignit dans ses bras. Il était tellement content de la voir.

-Andy! Je suis tellement content de te voir.

Il avait connu la jeune femme dans de curieuse circonstance, en fait, elle venait conduire et reprendre sa petite sœur qui faisait des travaux d’intérêt général sur la ferme. Nathalie n’était pas une enfant méchante, elle avait juste pris un drôle de chemin. Il avait commencé à s’intéressé d’un peu trop près d’Andy, il croyait que c’était réciproque, mais il n’avait jamais eu la chance de le savoir. Les travaux de Nathalie avaient pris fin et il n’avait plus eu de nouvelles de la jeune femme. Il relâcha son étreinte pour regarder la jeune femme dans les yeux.

-Andy… Nat?

Il n’osa pas demandé plus, si l’adolescente n’était pas dans le sillage de sa sœur, c’était qu’elle ne devait plus être de ce monde. Il ne pouvait y avoir d’autres explications. Il n’attendit pas la réponse de la jeune femme pour l’étreindre à nouveau.

A peine l’avait-il reconnue que Chris se précipita vers elle et la serra contre lui en disant qu’il était content de la voir. Dans d’autres circonstances, elle aurait sans aucun doute partagé le sentiment, mais maintenant… Non. Oui, elle était contente de le voir, savoir qu’il allait bien, mais ça ne pouvait pas aller plus loin. Ça ne pourrait jamais aller plus loin. Mais n’était-elle pas en train de mettre la charrue devant les bœufs comme le disait si bien sa mère? Peut-être, mais s’il y avait une chose qu’Andy avait retenu, c’était que la vie avait le don de vous mettre une gifle en pleine figure au moment où vous vous y attendez le moins.

Quand il s’écarta légèrement d’elle et la regarda dans les yeux, la jeune femme sut qu’elle n’aimerait pas la question qu’il allait poser. Nat. Elle ne put que secouer la tête et battre des cils pour chasser les larmes qu’elle sentait monter à ses yeux. Elle n’aimait pas parler de sa sœur. Pourquoi? Parce qu’à chaque fois, ça lui faisait un mal de chien, comme si elle était elle-même en train de mourir à petit feu. Penser à sa sœur lui faisait systématiquement penser à ses parents, penser à la débâcle qu’avait été leur vie après leur disparition. Et chaque fois, Andy réalisait que maintenant que Shane n’était plus, elle était seule au monde.

Andrea se dégagea et s’écarta de Christopher en tentant de prendre sur elle. Elle posa son sac à bandoulières sur son lit et murmura :

- Elle était déjà affaiblie quand… quand c’est arrivé. Je n’ai rien pu faire pour elle.

Si elle avait pu rencontrer Kaleb ou même Willow dès le départ, peut-être sa sœur serait-elle encore parmi eux. Pour une raison qu’Andrea ne saurait s’expliquer, elle se sentait coupable, responsable. Elle n’avait pas su veiller sur Nat, n’avait pas su la protéger comme il le fallait. Comme elle l’aurait dû.

- Et toi, comment t’es arrivé jusqu’ici?

Tout pourvu que la conversation ne s’attarde pas sur elle, sur Nathalie. La jeune femme n’en aurait pas la force.

La jeune femme avait quitté ses bras et il avait presque eu envie de la rattraper. Non, en fait, il n’avait pas presque eu envie, il avait eu une furieuse envie de l’étreindre plus fort. Il savait qu’elle souffrait de la perte de sa sœur, elle devait même se sentir coupable. Sa petite sœur était tellement importante pour elle. Il la regarda poser ses affaires, elle était tellement triste que ses gestes indiquaient à quel point elle était triste. Elle lui demanda comment lui était atterrit ici, il était évident qu’elle voulait changer de sujet. Alors il fit comme le voulait. Il prit sa main d’abord, l’amena avec lui jusqu’à son lit à moitié fait et la fit asseoir près de lui. Il la regarda, elle était aussi belle que dans son souvenir, mais elle avait perdu cet éclat dans ses yeux. Cette joie de vivre qu’elle avait lorsqu’elle venait chercher sa sœur à la ferme. Il eut un soupir.

-Et bien, une vieille amie à moi, une petite sœur presque, est débarquée chez moi ce matin. Elle cherchait à savoir si j’allais bien, ils voulaient des animaux pour survenir aux besoins du groupe et mon amie, Willow, ne voulait pas que je reste là-bas après avoir vu l’égratignure que j’avais au dos. Alors elle m’a presque tordu un bras et me voilà.

Il avait un peu exagéré les faits, il eut un sourire pour la jeune femme. Il voulait lui faire retrouver le sien. Il aimerait tant la voir sourire. Il se souvenait à quel point elle était belle lorsqu’elle souriait. C’était drôle comme on avait le temps de cesser de penser à quelqu’un et lorsqu’on le retrouvait, on se remettait à penser à des détails. Il réalisait que la jeune femme lui avait manqué. Il aurait aimé être là pour l’aider avec sa sœur, pouvoir prendre Nat et la traîner pour qu’elle ne se fasse pas tuer par un de ses monstres. Mais qui sait, peut-être n’aurait-il pas pu faire mieux. En fait, il était sûr qu’elle avait fait tout ce qui était humainement possible pour que sa sœur survive, alors il n’aurait sans doute pas pu l’aider mieux. Il replaça une mèche rebelle de la jeune femme, dégageant son visage.

-J’aurais aimé être là pour Nat et toi, vous aidez … je suis désolé de ce que tu vis.

Les pertes d’être chers, il savait ce que c’était. Il avait eu la chance de garder sa mère bien plus d’année que son père, mais c’était difficile tout de même d’être orphelin. Surtout lorsque vous êtes enfant unique et qu’il n’y a plus personne. Il ne connaissait pas l’histoire d’Andy, ne savait pas qu’elle aussi avait perdu ses parents et qu’en plus, elle les avait perdu les deux en même temps. Il savait cependant que le poids de la culpabilité l’accablait. C’était plus qu’évident.

Si Andrea avait espéré qu’elle pourrait feindre d’avoir quelque chose à faire, de devoir quitter la chambre rapidement pour aller faire un truc ultra important, elle pouvait bien oublier le projet. Aussi tentant soit-il. Parce que Christopher le clairvoyant avait rapidement compris qu’elle était triste. Tellement bien compris, qu’il s’était avancé jusqu’à elle, lui avait pris la main et l’avait amenée s’assoir sur son lit à moitié fait. Eh merde. Comment allait-elle s’en sortir maintenant? Elle ne pouvait pas prétendre devoir aller faire le dîner, Amy et Raffael avaient insisté pour se mettre aux fourneaux parce que la jeune femme avait ramené quelques proies pour leur concocter un ragoût. Ses services n’étant pas requis en cuisine, Andy avait gagné sa chambre en espérant pouvoir se détendre un peu avant le dîner. Elle n’avait donc plus aucune excuse et ne pouvait pas se défiler.

Elle écouta attentivement Chris lui expliquer comment une vieille amie avait réussi à le traîner de force jusqu’à l’hôpital. En l’entendant, on aurait cru entendre parler de Mackenzie. Même si Andy ne la connaissait pas beaucoup, elle avait vite compris que la jeune femme ne s’en laissait pas imposer. Alors cette description collait parfaitement à Mac. Aussi tomba-t-elle pratiquement des nues lorsque Chris mentionna Willow. Mais à bien y réfléchir, ça semblait logique aussi. Depuis son arrivée, Andrea avait souvent entendu Hunter dire que Willow était aussi têtue que sa sœur, qu’elles se ressemblaient trop par moment. Andy avait toujours pensé que Willow était plus effacée que Mac… jusqu’à ce qu’elle l’entende se disputer avec Hunter pour un sujet qu’elle ne connaissait pas. La jeune femme avait rapidement compris que ces deux-là étaient toujours en train de se quereller et qu’il valait mieux éviter le champ de mines qui les entourait dès lors qu’ils se prenaient la tête.

Elle venait plus ou moins de réussir à chasser ses larmes – elle ne regardait toujours pas Christopher – quand il dit qu’il était désolé, qu’il aurait voulu être là pour elle et Nat. Ce qui eut pour effet de lui faire monter les larmes aux yeux à nouveau. Elle pouvait comprendre ce qu’il disait, mais parler de sa sœur, ça faisait trop mal. Même si le temps avait passé, Andy ne l’Acceptait toujours pas. Ou bien peut-être était-ce le sacrifice de Shane qui lui faisait ressasser tout ça?

- Je… je ferais mieux de te laisser t’installer! commença rapidement Andrea en se levant d’un bond. J’imagine que tu as encore beaucoup à faire avec les animaux que tu as dû amener avec toi. ajouta-t-elle précipitamment.

Peut-être s’imaginait-elle des choses, mais son instinct lui soufflait qu’il fallait qu’elle s’éloigne de Christopher Thompson. C’était ça ou risquer de s’attacher encore plus à lui et d’en souffrir inévitablement. Parce que si la vie lui avait appris une chose, c’était qu’elle était prête à tout pour lui reprendre les rares personnes à qui elle tenait. Ses parents, sa sœur, Shane… Non, elle ne permettrait pas qu’il arrive quelque chose à Chris. Il lui fallait se tenir loin de lui le plus possible. Dès qu’un nouveau pensionnaire débarquerait, Andrea lui laisserait sa place dans la chambre. Ou bien elle plaiderait sa cause et dirait qu’elle se sentirait mieux toute seule. Ça valait la peine de tenter le coup.

-Non attend, je suis un maladroit. Je ne voulais pas te faire de peine. Je suis désolé.

Dire qu’il pataugeait était faible. Il tentait de pédaler dans la vide en vain oui. Il s’était levé d’un bon quand elle avait parlé de le laisser s’installer et qu’il avait surement beaucoup à faire avec les animaux. Oui, il avait à faire, mais Willow lui avait dit de s’occuper de s’installer et qu’elle s’occuperait des animaux. Il devait passer plus tard. Il avait bien vu les yeux de la jeune femme s’embuer. Il l’avait fait souffrir en disant qu’il aurait aimé être là pour elles. Il était un imbécile, voilà tout. Il prit sa main doucement pour ne pas l’effrayer non plus.

-Reste, s’il-te-plaît.

Il la sentait prête à fuir. Que c’était-il passé d’autre? Est-ce qu’on lui avait fait du mal? Les zombies n’étaient pas les seuls bêtes qui couraient les rues par les temps qui courent. Willow lui avait raconté des histoires d’horreur de femmes violées, d’enfants battus à mort et compagnie. Elle lui avait parlé aussi de sa première rencontre avec Hunter, de cette femme qui avait tenté de sauver sa fille et qui était morte peu de temps après que sa fille ait été dévorée. Hunter avait achevé la femme et Will l’avait sauvé lui. Et si on avait fait du mal à Andy? Il préféra repousser cette idée. Il ne voulait pas y réfléchir et ne voulait pas se mettre les pieds de nouveaux dans les plats en posant une question indiscrète.

-À part Will, tu es mon seul autre point de repère ici. Je ne connais personne à part vous deux. Depuis la mort de ma mère il y a quatre ans, je n’ai plus de famille. Willow est comme une petite sœur et toi … tu es ce que j’ai eu de plus près comme amie. Tu es importante à mes yeux. J’ai toujours apprécié de te parler et j’aurais aimé garder le contact.

Il baissa les yeux un instant avant de relevé la tête. Que faisait-il exactement? Il ne le savait pas lui-même. Il parlait sans trop savoir ce qui allait sortir de sa bouche. Il laissait les mots filer selon ce qu’il ressentait en la voyant le fuir.

- Ne me tourne pas le dos, j’aimerais être là pour toi maintenant que nous sommes tous les deux ici. Avoir une personne à qui se raccrocher en cas de coups durs, c’est important. J’aimerais être cette personne pour toi.

Il tenait toujours sa main dans la sienne, caressant le revers du pouce, il se raccrochait à elle. Il ne voulait pas la perdre une deuxième fois. Il l’avait laissé partir sans rien faire, il n’avait plus eu de nouvelles. Cette fois, il ne laisserait pas sa chance passer.

Avoir une personne à qui se raccrocher? Ça serait tellement facile d’accepter. Oublier que la vie avait la fâcheuse manie de lui donner des gifles retentissantes dès qu’elle baissait la garde était tentant, mais… Andrea se méfiait. Quand c’était trop facile, c’était forcément signe d’ennuis à venir. Et avec elle, ça venait systématiquement avec la mort. Hors de question d’infliger ça à quelqu’un d’autre. De s’infliger ça à nouveau. Quelle idée aussi d’avoir obéit à Shane quand il lui avait crié de courir jusqu’à l’hôpital? Durant ces quelques mois passés à ses côtés, Andy avait appris à se débrouiller, elle aurait pu continuer toute seule, elle le savait. C’était juste la fatigue qui l’avait poussée à chercher refuge auprès de ces gens. Elle avait cru ne rester qu’une nuit ou deux, mais finalement le temps s’était considérablement étiré. Maintenant, elle paniquait à la seule idée de devoir franchir les portes de l’hôpital pour se retrouver à nouveau à la rue. Sans personne.

Quand Chris lui pris la main, Andrea fut incapable de la lui retirer. Elle le voulait tellement pourtant, mais elle en était incapable. C’était comme si sa voix l’hypnotisait. Elle l’écouta lui dire qu’il n’avait que Willow et elle ici. Andy aurait tellement voulu qu’il ne lui dise pas ça! Mais comment pouvait-elle le lui faire comprendre? Elle savait que c’était perdu d’avance. A moins de lui raconter ce qu’elle avait été obligée de faire pour ne pas finir à la rue avec Nathalie? Non! Hors de question! Jamais elle ne lui dirait un truc pareil. Lire le dégoût dans les yeux de Chris la tuerait. C’était trop. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. N’importe quoi, mais il fallait qu’elle lui fasse comprendre qu’il ne devait pas trop s’approcher d’elle, qu’il ne devait pas compter sur elle…

- Écoute… ne le prends pas mal, mais… c’est mieux pour tout le monde si je reste à l’écart. C’est mieux pour toi. Crois-moi sur parole.

Il était tenace, mais Andrea pouvait également l’être. Elle ne savait pas encore ce qu’elle lui raconterait s’il lui demandait pourquoi ou de lui expliquer, mais Andy avait confiance, elle finirait bien par trouver une explication à fournir. Peut-être simplement dire la vérité en l’édulcorant un peu. C’était faisable. Eh puis merde! Ça servait à quoi de mentir, hein? A rien! Il allait tenter de l’approcher encore et encore. Il finirait par apprendre la vérité un jour ou l’autre. Autant être franche dès maintenant. Non, elle n’allait pas lui parler de sa glorieuse carrière de fille de joie, mais s’il fallait un jour le lui révéler pour qu’il finisse par se tenir loin d’elle, Andrea le lui dirait. Dans le pire des cas, elle plierait bagages en pleine nuit. Elle n’aurait peut-être pas d’autre choix.

- J’ai perdu toutes les personnes que j’aimais. Je refuse de revivre ça une autre fois. dit précipitamment la jeune femme en le regardant droit dans les yeux. Rester loin de moi, c’est le mieux que tu puisses faire. Comme ça, je n’aurai jamais à lire le dégoût dans tes yeux.

Andy retira brusquement sa main de celle de Christopher et tourna les talons. C’est à peine si elle ne franchit pas la porte de la chambre en courant. Les larmes qu’elle n’était plus capable de contenir roulant sur ses joues.

Il aurait voulu retenir sa main, la retenir dans la pièce pour qu’elle lui explique. Elle venait de partir en coup de vent. Elle avait dit que c’était mieux pour tout le monde si elle restait loin, mieux pour lui. Ensuite, elle avait utilisé une drôle d’expression, elle avait parlé de dégoût. Elle ne voulait pas voir le dégoût dans ses yeux, elle avait dit cela après avoir dit qu’elle avait perdu toute les personnes qu’elle aimait et qu’elle refusait de vivre ça une autre fois. Mais en quoi pourrait-elle le perdre par dégoût? Si elle savait tout ce qu’il avait fait pour sa survie seule dans la ferme, peut-être que c’est elle qui serait dégoûtée. Il ne comprenait pas. Il la laisserait tranquille pour le moment, elle était effrayée, c’était évident qu’elle souffrait. Il lui donnerait de la présence minimalement. Il ne l’éviterait pas, mais il ne ferait pas exprès pour rester dans ses jambes non plus. Il allait y aller petit-à-petit. Elle ne pouvait pas avoir fait le choix de vivre seule, sinon elle ne serait pas là.

Il reprit le drap et recommença la tâche qu’il avait abandonnée. Les questions se bousculaient dans sa tête. Si elle avait dit qu’elle ne voulait pas voir la mort, la peur ou la tristesse dans ses yeux, il aurait pu comprendre. Mais elle avait utilisé le terme « dégoût ». Elle avait fait quelque chose qui la dégoûtait, elle croyait que s’il l’apprenait, il serait dégoûté d’elle. Est-ce que ce pouvait être ça? Ils avaient tous fait des choses épouvantable. Il en savait quelque chose, il avait causé la mort de son père lorsqu’il était enfant. Bien sûr, il ne l’avait pas voulu, il n’avait pas cherché à le faire mourir. Mais son père s’était sacrifié pour le sauver. Il ferma les yeux un instant pris d’un léger vertige comme chaque fois qu’il ressentait à nouveau les bras de son père qui convulsait autour de lui, serrant et desserrant autour de son corps sous l’impact de la douleur. Il se souvenait aussi de la sensation chaude du sang qui lui coulait sur le visage, les mains. Son père lui avait dit de fermer les yeux.

Il n’avait pas écouté ce jour-là, une simple désobéissance de sa part avait causé ceci. S’il avait écouté son père, ce dernier aurait sans aucun doute survécu à cette journée. Il ne pouvait pas revenir en arrière, il ne pouvait pas changer ce qui était arrivé. Il avait tellement pleuré et prié pour que tout ça ne ce soit pas produit. Mais rien n’y avait fait. La jeune femme pouvait dire ce qu’elle voulait, ce ne pouvait être pire que la sensation qu’il avait ressentie lorsque son père avait été déchiqueté alors qu’il le serrait contre lui pour le protéger. Non, peu importe ce qu’elle lui dirait, si elle le lui disait un jour, ce ne pouvait être pire selon lui.